29 novembre 2007

Amitié : 1

Au fil du temps j'ai perdu tous mes amis.
Comme mon moral remonte doucement au fur et à mesure que mon environnement nouveau me devient familier, je vais pouvoir en parler sans pleurer après comme une madeleine.
Cela étant, je dois rechercher s'il ne m'est pas arrivé aussi de ne pas faire d'efforts avec d'autres personnes.
Bref. Je vais aussi essayer d'être concise et de ne pas faire de phrases.
Nous appellerons Sara ma première amie; je la rencontrai, paraît-il à 18 mois. C'était la fille de voisins de mes parents, du temps où mes parents sympathisaient avec leurs voisins. Ultérieurement, ces voisins déménagèrent un peu plus loin dans la rue; puis dans le Nord de la France; avant de revenir en grande banlieue parisienne.
Sara partit donc fort loin quand nous avions huit ou neuf ans; je regrettais son absence par phase ; je n'y pensais parfois pas, mais je ressentais parfois un manque énorme, à hurler, et je pensais à elle presque en pleurant (intérieurement). Il me semble aujourd'hui que je me noyais semi-volontairement dans une tristesse qui n'était pas entièrement due à son absence.
Nous nous écrivions, sur du papier à lettre de petite fille : rose, puis crème, avec des photos de jeunes filles floutées, assez cucul.
J'allais la voir, avec mes parents et ma soeur, dans le Nord, des villes un peu sombres, me sembla-t-il, mais elle habitait près d'un golf. J'avais beaucoup d'asthme à l'époque, et le souvenir que j'ai de cette visite se mêle bizarrement au goût du ventoline, à la légère douleur en bas des côtes que j'avais lors des crises et à ce sentiment de bouillie au goût de plastique chaud qui m'empoissait les poumons. Nous logions chez eux, partagions leur vie, et comme nous ne vivions comme personne, je trouvais tout étrange. Mon amie et ses frères faisaient de nombreuses choses qui m'auraient été parfaitement interdites et qui, dans ce contexte, semblaient normales, ma mère abdiquant ses diktats pour quelque temps : du vélo dans le lotissement, des balades dans les bois, de la lecture dans le salon (moi, je ne pouvais lire que dans ma chambre), de la peinture et de la pâte à modeler (ma mère trouvait les travaux manuels, vantés comme instructifs par la mère de mon amie, complètement idiots, sauf si on aimait cela, et elle savait que je n'aimais pas - ma mère savait tout sur moi, même des trucs que j'ignorais, tellement elle était forte). Toute cette liberté me perturbait complètement, et je ne profitais pas du temps avec Sara. Habituellement enfermée tout le temps chez moi, j'avais l'impression de flotter dans l'espace comme une bohémienne.
Elle revint en grande banlieue quand j'avais 13 ans; je lui rendis visite un jour, de moi-même, sans vraiment prévenir mes parents, je pris le RER, changeai à La Défense, puis pris le train de banlieue. Elle m'attendait à la gare, un peu surprise; elle était venue avec son frère, en vélo. Il me semblait avoir traversé des continents pour la rejoindre, et elle ne parut que surprise.
Nous avions commencé de nous séparer, et je ne comprenais pas pourquoi; depuis son départ, j'avais toujours attendu nos retrouvailles, et chaque fois été déçue par elles, et cela ne faisait qu'augmenter : mais je ne parvenais pas à comprendre ce qui n'allait pas. Quand je lui téléphonais, elle ne disait pas, je le savais, tout ce qu'elle sentait, mais pourquoi?
Son père était bizarre, traumatisé par je ne sais quel souvenir d'enfance, lié à la guerre et aux camp, l'un de ses parents étant juif ; violent, très dur, sarcastique, avec une mollesse dans le bas du visage ; il me faisait très peur. Sa mère ne valait guère mieux, mais elle était plus douce, pleurait tous les jours à cause de son mari, racontait tout à ma mère qui en parlait devant moi, et je frissonnais de stress ; elle quitta son mari qu'elle avait épousé sous les régime de la séparation de biens, très tard, vers la cinquantaine, pour un autre homme de soixante-dix ans, qui ne l'épousa pas, mourut deux ans après et la laissa sans aucune ressources, obligée de travailler, à plus de 50 ans, et au noir - une situation abracadabrante.
Sara, vers l'âge de 15 ans, eut de gros problèmes avec ses parents et se lia avec une famille voisine, au point d'y passer son temps, et d'y être comme une deuxième fille. J'avais alors d'autres amies, mais je me sentais jalouse : pourquoi pas moi? Pourquoi n'était-elle pas aussi amie avec moi? la réponse me paraît claire maintenant : mes parents étaient trop proches des siens, malgré l'esprit hyper-critique dont ma mère faisait preuve envers eux, ma mère était aussi sympa et maternelle qu'une perceuse électrique et nous habitions trop loin.
Je réalise que je ne lui avais jamais dit que je me rendais compte qu'elle ne me disait pas tout, que je ne lui parlais pas, par pudeur, de sa famille, parce que je ne savais pas trouver les mots; il me reste encore beaucoup de cela. Je ne sais pas quoi dire aux gens, très souvent. Plus tard, une autre amie, très proche, pleura devant moi à cause de la mort de son grand-père; je ressentais sa douleur avec tant de force que je me sentais suffoqué et oppressée, mais je ne dis pas un mot. Nous étions dans un bus, elle pleurait, mes pensées tournoyaient en vertige dans ma tête et je dis rien, je ne pris pas sa main, je ne la pris pas dans mes bras. Je n'ai réussi à exprimer mes sentiments qu'avec mes enfants.
L'éloignement, et l'incapacité à communiquer vraiment furent donc responsables de notre éloignement.
J'ai toujours des nouvelles de Sara; je me promets de l'appeler très souvent ; je l'ai appelé il y a trois ans, pour écouter encore ce pesant silence entre nous.
Elle s'est mariée avec un de mes anciens camarades de classe, grande famille, des sous partout, des appartements, des villégiatures ; mariage au cercle militaire où je ne suis pas allée : je déteste les mariages; je n'ai même pas offert de cadeaux, parce que je n'y ai pas pensé - oui, eh oui, j'ai mis dix ans à comprendre qu'on offrait des cadeaux aux mariages, par principe, moi je croyais qu'on offrait des cadeaux quand on était proche des gens et qu'on savait comment leur faire plaisir, je n'étais pas au fait du cadeau social, d'ailleurs j'ai toujours du mal à m'y faire ; je lui ai rendu visite, dans le VIIème, au village suisse. Je me suis engueulé avec un antiquaire à qui je demandais mon chemin, perdue dans les escaliers. Elle habite un immense appartement qui m'a rendu mélancolique, parce que je me suis demandé ce qu'il nous restait en commun, à la fin : elle école de commerce, lui Normale sup + Sce Po, ce monde que je connais bien, dans lequel je n'ai jamais pu m'intégrer, et que j'ai toujours fui, avec peur, en me sentant cloche, nulle, incapable d'avoir cette assurance terrifiante des filles de bonne famille qui ont fait des écoles de commerce, et même celle des filles pas de bonnes familles, qui ont fait les mêmes études et adopté les codes (alors que finalement j'en suis une aussi, même si j'ai été tenue loin des courts de tennis, des chevaux, des rallyes, ce qui, au final, m'a placé en position d'étrangère par rapport à mon entourage "naturel"). J'ai pensé à l'Ours, à sa famille, à mes amies éclectiques, étrangères souvent, mais pas de nationalités qu'on retrouve dans le VIIème. J'ai eu un vertige en me demandant où j'allais, ce que je faisais de ma vie, oui, je sais, on doit faire ce qu'on veut, mais j'ai plutôt improvisé, dans ma vie. Je ne veux pas de sa vie de repas entre gens importants (son mari place de l'argent pour des riches clients d'une banque), je sais, et avec quelle acuité, comment parlent ces gens, de quoi ils parlent, et comment ils s'éblouissent par petites touches, finalement aussi ploucs que d'autres moins bien élevés : ils s'épatent dans des dîners en ville, à coup de vacances luxueuses, ou de voitures chères achetés - je ne sais pas si je me fais comprendre, il faudra que je précise. Mais j'ai bien aimé ce sentiment sécurisant de faire, si je puis dire, partie de ce que l'on pourrait appeler les "Maîtres du monde". Samedi nous recevons les Bidules, tu sais, le député, et la semaine prochaine nous retrouvions les machins, tusais, l'éditeur, aux (nom d'une station de ski, ou balnéaire). Proust, sans la crinoline, et sans les phrases.
Bon, j'ai aimé frôler cette ambiance, mais je ne peux pas rentrer dedans, je voudrais pouvoir, ce serait sécurisant, mais je ne peux pas, quelque chose me tord le ventre quand je suis devant des gens comme ça.
Ah!!! J'oubliais le meilleur. Elle m'a fait, cette fois-là, un cadeau. Elle me tend un CD, que j'ouvre, machinalement ; il ne contient pas de CD (suis-je donc béotienne que de l'avoir cru); mais une feuille de papier pliée, marquée de mots et de dessins vagues. C'est un ami à eux, un artiste que fait de l'art quelque chose, et là, en ce moment, son concept, c'est l'art dans des boîtes de CD et elle a pensé que comme j'avais toujours eu un tempérament artistique - hein. Je prends le truc en disant "ah".
Moi, je lui avais amené des chocolats.
Je suis partie en me demandant qui j'étais.

Bon, mais je la recontacterai, pour le fun. En plus, maintenant l'Ours évolue vers des postes prestigieux (pas encore ; mais s'il est sage). Je pourrais lui dire : mon mari est pouet pouet pouet. La petite lumière s'allumera dans son oeil. Ah? dira-t-elle.
Trouvez-moi futile. Mais cela me fera plaisir d'avoir "réussi" selon ses critères. C'est déjà assez dur de ne pouvoir parler de Thucydide avec personne. Ou de Proust. Alors, un peu de caressage d'ego, ça fait du bien. Même si ce sont des caresses usurpées.
C'était une amie, très chère, de mon enfance. Je ne peux pas couper. J'ai encore dix ans. Je voudrais la toucher, l'atteindre. C'est idiot : mon silence de quand elle avait des problèmes avec sa famille lui a peut -être fait de la peine. Ou, sans lui faire de la peine, ne l'a pas aidée. Je suis responsable de cela. Si nous étions demeurée proches, elle me paraîtrait moins ridicule, au milieu de ses relations artistico-politiques à la con. On a le droit d'aimer tout le monde, même les gens qui ont des vies sociales mondaines. Si je la retrouve, je la garde. Elle fait partie de moi.

Il y a dix ans, ou plus, ou moins, enfin l'année de sa sortie, j'ai vu Mina Tannenbaum. Je suis sortie de ce film en pleurant comme une fontaine (pas à l'intérieur - de vraies larmes). Il y a un peu de ça dans mon rapport avec cette fille ; il y a un peu de ça dans mon rapport avec toutes mes amies.

27 novembre 2007

Antiquité

J'ai oublié de donner deux liens quand j'ai parlé de Thucydide. Bon d'accord tout le monde s'en fout mais moi ça me fait plaisir.
Primo, la Bibliotheca Classica Selecta.
J'adore ce site. D'abord, j'aime bien ce qui fait fac (vous sentez l'odeur de poussière humide et d'encens, vu que c'est catho? Moi, si. Dès que je me connecte, c'est le Nom de La Rose ; de l'avantage d'avoir une imagination débridée). Au cas où vous avez envie, comme ça, d'un petit coup de latin ou de grec, hop : BCS. Dommage qu'il n'y ait pas la même chose pour l'arabe. Les textes sont traduits (non parce que j'ai un mal de chien à les lire sans traduction ; avec la trduction, je peux suivre le texte latin, ce qui est très agréable, mais sans, je sèche).
Ils ont des sigles délicieux pour leurs différentes parties, des trucs pas du tout mode, à la fois fonctionnels et d'un antipoétisme poétique (je sais pas si je suis claire). E-trav, E-trad, E-ress, c'est moche mais précis. Après, nous avons aussi Itinera Electronica, nettement plus poétique, mais seulement le titre. Nous avons des exercices ludiques (pour apprendre le latin ; j'adore ; essayez ; c'est presque aussi marrant que World of Warcraft).
N'hésitez pas à taper sur LPE. Pas poétique du tout, sauf pour l'Initié, qui Sait qu'il s'agit de Lupa Capitolina Electronica (merveilleux, non?). Et là, c'est le dédale (parce que leur site est tellement riche qu'on s'y perd un peu, mais c'est bon!) délicieux, merveilleux, des bouts de latin, des questions que vous ne vous étiez jamais posées et vous ne saviez même pas qu'on pouvait se les poser.
Je me moque, mais j'adore ce site.

Deuxio, Remacle.org. C'est bien aussi, mais on sent moins l'encens. Moins la poussière, aussi. Tout dépend de l'ambiance - moi, j'ai un faible violent pour tout ce qui évoque le Moyen Age, donc la religion, l'architecture romane, tout ça. Mais remacle c'est super. Ne vous laissez pas décourager par l'entrée, un peu austère. Cliquez sur textes latins traduits et commentés, et après sueurs froides. Et Pétrone, après. Anecdotes effrayantes. Il y a des textes sur l'amour, la vie, tout ça. Car les auteurs latins vivaient, mangeaient, tombaient amoureux, tout ça tout comme nous.
Dans les textes grecs, on trouve des textes orientaux pas traduits du grec. Je vous recommande le testament de Saint Ephrem, traduit du syriaque. Bon, il faut ne pas être fermé aux chrétiens orientaux du IVè siècle, mais pourquoi se priver de lire un texte écrit par une telle personne? Il n'y a pas que Philippe Sollers, dans la vie (je parle de lui parce qu'il vient d'écrire ses mémoires ; franchement, préférez le testament de Saint Ephrem ; c'est plus original).
Quelques extraits. Saint Ephrem est curieux (mais nous le respectons ; ce n'est pas de sa faute : il ne connaissait pas les droits de l'homme, la bombe atomique, les armes de destruction massive, le Conseil de Sécurité et tout ça).

I .L'huile a manqué dans la lampe ; mes jours et mes heures se sont enfuis.
J'aime bien ; très Ecclésiaste, oriental, type : vanité des vanité, etc.

Un petit aphorisme pour la route :
III : Le sage ne hait personne si ce n'est le sot. — Le sot, de son côté, n'aime personne si ce n'est le sot son semblable.

Une phrase mystérieuse :
XIII :Tandis que le raisin vif mûrit dans la vigne, le mort s'agite dans l'amphore.

Un autre aphorisme, vraiment curieux :
XVIII : La Vérité a coutume de patienter à la pensée que le fourbe pourrait se convertir. Dès que celui-ci croit qu'il s'est élevé et qu'il s'est sauvé, alors elle l'abat.
La Vérité est bizarre, non? Vous la voyiez comme ça, vous?

Voilà. Je ne connaissais pas Saint Ephrem ce matin. Vous non plus (ne mentez pas). On se sent plus cultivé, non? avec une petite note d'exotisme : plus fun que Platon, quoi. Encore que Platon gagne à être connu. Il n'a pas que parlé du mythe de la caverne.

Cela me rappelle quand j'étais prof et que j'arrivais en classe en disant : aujourd'hui, on va faire un truc rigolo. Le visage des élèves s'éclairait, et j'avais un peu de peine pour eux. Je précisais : Un truc rigolo de prof, hein.
A la fin du cours, l'un d'eux levait la main en disant : madame, vous aviez pas dit qu'on allait faire un truc rigolo?
Et moi : Mais on l'a fait. T'as pas trouvé ça rigolo, le testament de Saint Ephrem?
L'élève : ah. C'était ça.

26 novembre 2007

Métropolis

Métropolis.

J'ai vu ça, je devais avoir 15 ou 16 ans, au lycée, car il y avait un cinéclub. Ou bien au cinéma de ma ville. J'ai adoré. J'étais une fan de science fiction. En tout cas c'est vieux. Depuis, je ne l'ai jamais revu. Est-il ressorti en video?

(Je viens de réaliser que je pouvais mettre des liens vers Dailymotion ; il fallait le temps que l'information arrive jusqu'aux centres nerveux. J'ai ditqu'il y avait un décalage entre la réalité et moi).

23 novembre 2007

Distraite

Je suis distraite. En fait, il y a entre le monde réel et moi une invisible distance, qui fait que souvent je l'oublie, plongée dans mes pensées.
D'autre part, je ne comprends pas la vie, les gens ; encore que cela s'améliore avec l'âge. C'est difficile à expliquer : en fait, je suis dans mon monde, et j'ai du mal à en sortir. Et quand j'en sors, je suis toujours perplexe et souvent déçue.
Les effets secondaires de tout cela sont nombreux :
  • il m'arrive très souvent de ne pas comprendre les blagues ; je regarde les gens avec incrédulité ; et eux aussi car ils sont sûrs d'avoir plaisanté, donc ils pensent que je dois comprendre. On reste quelques instants suspendus dans le temps, jusqu'à ce que je comprenne que c'est une blague. Alors, soit je dis "ah ! c'est une blague!" ou alors je ris, mais trop tard.
  • Je fais des blagues qui ne font rire personne, et qui me donnent juste l'air bizarre. Quand je fais ça, je me dis que je dois ressembler à mon père... pas enthousiasmant.
  • Je ne vois pas les gens ou les choses. Si je ne vois pas les gens, je ne leur dis pas bonjour ; cela vexe ou semble impoli à un nombre incalculable de gens. Là où j'habitais avant, une mère d'élève de la classe de mon fils, et ensuite dans mes cours, était, je ne sais pourquoi, totalement invisible à mes yeux. En fait, je la voyais, mais il ne me venait pas à l'esprit de la saluer ; je n'avais rien à lui dire. Or, elle, elle tenait à me saluer parce que j'étais prof. Donc, pendant cinq ans, elle surgissait devant moi en me disant : "Bonjour!!!" et à chaque fois je me disais : "merde! j'ai encore oublié de lui dire bonjour!!". Mon esprit est aussi très contradicteur, même à mon corps défendant, et je crois que (car je la voyais) un blocage cérébral m'empêchait de lui dire bonjour : en effet, là-bas, vu l'impact désastreux de ma façon de traverser les foules de mères devant les écoles, je m'astreignais à dire "bonjour! bonjour!" à la cantonnade pour ne vexer personne. Donc, normalement, dans le tas, j'aurais du la voir et lui dire bonjour. Mais non. Cela me semblait si drôle que l'avant-dernière année, quand elle surgissait devant moi, je commençais à me marrer et je lui disais : "Mince! j'ai encore oublié de te dire bonjour!" Comme elle était très expansive, et que j'étais prof de son fils, donc il fallait qu'elle me fasse un peu de lèche au cas où, elle ne pouvait pas trop se vexer mais il était visible que ça l'énervait, et plus encore de me voir rire. La dernière année, j'avais à peu près fini par la repérer, et j'allais la voir en lui disant : "bonjour! t'as vu, je t'ai dit bonjour!", et ça l'énervait aussi, elle me disait : "oui, eh bien, tout de même, c'est normal, depuis le temps qu'on se connaît!".
  • Je ne me vexe pas de grand chose, quand ces évènements ont lieu en direct dans ma vie, car souvent je ne ressens rien. Le truc me passe au dessus de la tête, comme on dit. Je capte pas que j'aurais du me vexer. Ou alors, je remarque bien que la personne est désagréable, mais je suis encore plus frappée par sa vulgarité, par exemple, ou son stress, je la trouve bête ou je suis gênée pour elle et je ne suis pas vexée. Il m'est arrivé qu'on me dise :" t'as vu comment elle t'a parlé?" et non, je n'ai pas vu, ni entendu. J'ai vu une femme affreusement vulgaire, ou stupidement hors d'elle, j'ai eu honte de cet étalage de cris, de sentiments, mais je ne me sens pas visée. Il m'arrive de me vexer, mais toujours de remarque dites doucement, et souvent, sans aucune intention de vexer. Une mère qui vient hurler que j'ai fait ceci à son fils ne me vexe pas, elle m'exaspère et je le trouve lamentable, et je me trouve lamentable de devoir me taper des gans comme ça. Une maie qui me dit : "C'est toi qui a fait ce gâteau?" Oui, là je suis très vexée. Cependant, j'ai appris que quand on a affaire à des gens qui s'énervent ou vous prennent de haut, même si on ne se vexe pas, il ne faut pas les laisser faire : dans certaines situations, par exemple si la scène a lieu au sein d'un microcosme (travail, famille, groupe derelations...), l'image de celui qui se laisse fairepeut en pâtir. Je m'en foutais, mais je me suis rendu compte qu'il ne faut pas. Après, l'attitude des gens change à votre égard, ils ont moins de respect et ça peut être gênant. D'une certaine façon, on a intérêt à montrer les dents régulièrement. Je le fais maintenant, bien que cela ne me soit pas naturel. Je me débrouille pour dire un truc qui casse, ce qui est dur car j'ai l'esprit de l'escalier, ou, mieux, je soupire ou prend l'air choqué et je m'en vais. J'adore être toute seule, mais les gens se disent "Oh, là, elle fait la gueule." C'est une méthode, mais il ne faut pas en abuser. On a l'air de fuir. Le mieux, c'est l'ironie. Comme j'ai l'esprit de l'escalier, je commence. Je dis des trucs ironiques tout le temps. N'importe quoi. Parfois c'est con. ("Oh la la, elle a mis sa belle robe! - hou! il a un nouveau téléphone le monsieur! il est content?) mais ça marche bien. L'ironie implique la distance, elle peut être blessante et les gens sont un peu prudents. D'un autre côté, je suis pas hyper ironique, donc ça va. Sinon, je pourrais devenir blessante pour de bon et ce n'est pas le but. je veux juste qu'on me foute la paix.
  • Comme je suis distraite et que je ne vois rien, je perds tout, et je le retrouve généralement, mais pas toujours. C'est aussi pour ça que je dois être ironique. En général, les gens qui ne perdent rien et qui pensent à tout se moquent des distraits. Je m'en foutais, avant, que l'on se moque d'un défaut que j'ai et qui est réel ; mais comme je l'ai déjà dit, au bout d'un moment, à force de se moquer, ça peut déraper et les gens vous mangent la soupe sur la tête. Donc mieux vaut être un peu acide tout azimut, histoire d'éviter que les esprits forts locaux ne se la pète un peu trop.
  • Je ne suis, normalement, pas conventionnelle, ni dans ma façon de m'habiller, ni quand je parle aux gens. Je m'en fous de parler à quelqu'un qui à l'air d'un zonard, je lui parle. mais ça aussi c'est impossible. Les vêtements, d'abord : je détestais tellement m'habiller quand j'étais jeune que je récupérais les vêtments de mes amis. J'étais super mal habillée, pas coiffée, les cheveux longs, dans la figure, pantalon qui fait des poches au genoux et aux fesses, jupes ringardes, etc. Résultat : je me suis plus d'une fois faire traiter comme de la merde. Dans le boulot que je faisais à Paris, l'une de mes copines essayait de me faire engager par une boîte et la responsable lui a dit :"Anta? pas possible, nous avons une obligation de représentation envers nos clients, et tu as vu comment elle s'habille? " Ma copine m'a ordonné d'aller m'acheter des vêtements corrects ; j'y suis allée, la mort dans l'âme, et j'ai eu plus de boulots dans la boîte en question, qui payait bien. Dans une autre société, quand j'arrivais au milieu de mes collègues, certaines filles me regardaient, puis regardaient leurs copines, et pouffaient. J'ai changé, voilà comment. D'abord, quand j'étais prof dans le Golfe, un jour, j'ai mis la tenue "bien" datant de mes années de travail à Paris, achetée sur les conseils de ma copine, je suis allée faire cours et de très nombreux élèves m'ont demandé ce qui se passait. Mais rien, leur disais-je. Mais alors, pourquoi vous êtes habillée comme ça? Moi : Comment? Les élèves : Vous êtes bien habillée, madame, aujourd'hui, et ça vous va bien vous devriez être toujours comme ça. j'ai noté ; plus tard, une amie philippine, fille d'ambassadeur, m'a traîné chez un tailleur pour me faire faire quelques robes du soir ; j'étais parvenue à la conclusion qu'il me fallait au moins trois robe pour sortir le soir, car j'avais été invité dans des circonstances où les bidouillages vestimentaires n'étaient pas possible. J'ai quitté le Golfe en me disant qu'il faut au moins quelques robes du soir ; en Espagne, toutes les filles de moins de trente ans sont généralement bien habillées ; après, ça dépend. Du coup, avec une nouvelle sensibilité au look, je me suis rendu compte que j'étais super mal habillée ; j'ai entrepris de renouveler ma garde robe ; j'ai jeté des vêtements si vieux qu'ils étaient élimés. Mais cela coûte cher ; j'ai mis du temps. Au final, je n'ai plus que des vêtements bien ou chic ; j'ai viré tous les vêtements pourris : en effet, si j'ai des vêtements pourris, je ne mets qu'eux. On juge sur l'apparence, ai-je compris. Et je n'aime pas, finalement, être prise pour une idiote parce que j'ai des fringues de merde. Le jour où je veux faire simple, je mets un jean et un T-shirt. C'est la même chose avec les gens. D'abord, toutes les personnes non conventionnelles que j'ai connu (je parle de celle-là uniquement) n'aspiraient qu'à avoir l'air conventionelles et mondaines ; elles m'ont donné squattée, pompée, vampirisée, et je l'ai àchaque fois compris trop tard ; elles ont en outre détourné de moi toutes les personnes conventionnelles (or, je ne recherche pas les gens non-conventionnels, les ratés, les zonards : je parle à tout le monde). Donc, maintenant, je me méfie des gens non-conventionnels.
Conclusion : quand j'avais 20 ans, je m'habillais mal, je parlais à tout le monde, je n'avais aucun rythme de vie, je me laissais marcher sur les pieds, je planais, je rigolais tout le temps. Un de mes copains m'appelait "Anta, la fille qui se fume".
Maintenant, je m'habille, j'envoie promener les gens, je me couche à dix heures du soir, je sélectionne mes fréquentations (actuellement, c'est plutôt le nettoyage par le vide - j'exagère, en fait j'ai cette impression parce que je ne recherche pas les gens ; mais j'en trouve). Je plane toujours et je fais des blagues idiotes. C'est tout ce qui me reste.
Mais où sont les neiges d'antan?

22 novembre 2007

Grève des profs

Je sais que les grèves sont à l'actu en France, mais je n'ai rien à en dire, je balance des deux côtés et même au dessus et en dessous. Mais j'ai un truc à dire sur la grève des profs.
On dit que les profs font tout le temps grève. Qu'ils sont corporatistes. Dès que le gentil gouvernement tente une gentille réforme les profs sont contre. C'est normal : les profs râlent tout le temps, ils veulent rien changer au système, auquel ils s'accrochent pire que des bernicles sur un rocher.
Je vais pas parler de tous les profs, il y en a des cons, insupportables et tout, mais je vais parler de mon expérience.
Le système des écoles françaises est schizophrène, c'est mon avis. Je n'ai travaillé qu'à l'étranger et par hasard, mais voilà comment les choses se passent : il y a un décalage hallucinant entre le baratin à l'extérieur et la pratique à l'intérieur.
Discours de début d'année : la direction évoque tous les merveilleux changements : trois ordi de plus, une photocopieuse neuve, la mise en place de la réforme de l'enseignement des langues, bla bla bla. Bon, évidemment, nous, c'était une petite école, donc ça restait modeste.
Les parents sont heureux. Quel dynamisme!
La réalité : les ordi nateurs vont mettre un ou deux mois à être installés, parce que personne ne sait le faire. Ceux qui sauriant n'ont pas envie de se lancer dans un processus qui ne va leur valoir que des emmerdes : faire du bénévolat dans un domaine non directement lié à leur cours. (si il y a le moindre problèem, ça sera de leur faute ;et il y aura des problèmes ; c'est pour ça que les société modernes ont des informaticiens)
La photocopieuse neuve est nouvelle dans l'établissement, souhaitons lui la bienvenue, mais elle n'est pas neuve. Elle tombera sept fois en panne dans l'année scolaire ; de toute façon, dit le principal, trop de photocopies, c'est mauvais. Il faut que les élèves écrivent. (NB : je suis par ailleurs d'accord ; sauf que c'est en contradiction avec tout le système, dans lequel on doit travailler sur doc ; il y a des docs dans le livre ; oui ; trois ans de suite avec les mêmes docs, les mêmes commentaires, les mêmes corrections, moi je deviens folle ).
La réforme de l'enseignement des langues : quand on l'a lancé, on n'avait pas les manuels. Donc on bidouillait avec des photocop (et une photocopieuse en panne : pratique).

Imaginez au quotidien que vous soyez obligé de faire le contraire de ce que l'on vous dit de faire. Les instructions des programmes sont délirantes ; elles supposent que les élèves courent après le savoir comme de jeunes chiens après un os. Les élèves doivent être acteurs de leurs savoirs. Si vous dites à un officiel, comme moi, pauvre naïve, je le faisais au début : Mais, mes élèves s'en foutent de la Déclaration des Droits de l'Homme, moi ils ne pensent qu'à World of Warcraft, s'envoyer des SMS en cours et probablement pire encore, l'officiel vous regarde avec horreur et/ou commisération : QUOI? Vous ne savez pas intéresser vos élèves? Vous n'êtes pas sûre de vos pratiques? Mais c'est à vous de les intéresser. Evidemment, si vous n'en êtes pas capable....
c'est que vous êtes nulle. Au début j'essayais ; à la fin je faisais tout ce que j'avais envie de faire. Y compris des trucs complètement réac, ou loufoques : je me faisais plaisir. (contrat loc : pas d'inspection) Pour leur parler des temples égyptiens, deux ans de suite, j'ai fait fermer les yeux à toute la classe et je leur ai décrit un parcours imaginaire et mystérieux dans le temple. Deux ou trois élèves m'ont dit : "oh, madame, j'avais l'impression d'y être!" deux ou trois ;les autres je ne sais pas ; mais je m'en fous. J'étais contente, et eux aussi (des sixièmes, notez). Parfois je leur faisais lire des textes extraits de livres d'histoire anciens qu'ils ne comprenaient pas, là plupart du temps, parce que la baisse du niveau de compréhension de l'écrit est inimaginable, je veux dire que même lorsqu'on en est averti on a encore des surprises.
Je n'en veux pas aux élèves, même s'ils m'énervaient, ce sont des enfants. J'en veux au système.
Un système qui te dit, en gros, qu'il ne faut pas pénaliser les élèves en difficulté : fort bien, ne les pénalisons pas. Aidons-les, alors? On ne parle plus d'aide : on parle de remédiation. remédiation!!! ça me donne envie de vomir. On met en place des méthodes, des cours, des claases au petit bonheur la chance, parce que rien n'est précis, ce sont des mesures prises pour faire plaisir aux gens, aux parents, aux consommateurs. Madame, nous avons mis en place une structure de remédiation au sein de notre établissement. Pour ce que j'en ai vu (je ne dis pas que c'est partout pareil, il y a des profs dévoués, que je trouve merveilleux et sublimes et extraordinaires), il s'agit surtout de monter la structure, de la faire apparaître, de la rendre visible, pour pouvoir dire ensuite : "Ah!! mais nous on a fait ce qu'il faut, on a mis en place une structure de remédiation." C'est à dire qu'un prof qui veut faire ceci ou cela, à la limite il doit le faire discrétos, sinon il aura des emmerdes : pourquoi il prend des initiatives, ce prof, il y a une structure de remédiation!!!

Le bénévolat. Bien aussi. Il y a les profs qui "s'investissent" et ceux (les méchants) qui ne s'investissent pas.
ceux-là, on les aime pas, hein? Ils font prof que pour l'argent et les vacances. C'est vrai que les profs sont tous riches, surtout les instits.
Moi j'étais un prof qui s'investissait. Comme tous les contrats loc du collège, d'ailleurs. Seuls les résidents et expats ne s'investissaient pas.
Conclusion :il n'y a que ceux qui sentent le vent de la porte qui s'investissent. (remarque qui vaut pour toutes les catégories socio-professionnelle, d'ailleurs, sauf pour mon mari, absent six jours sur sept, de sept heures du matin à neuf heures du soir, mais bon c'est une autre histoire ; mon mari n'est pas prof, ahahaha, lui il travaille).
Etudions la question. Avant de m'investir, j'avais réfléchi : je m'étais dit : tu vas faire un truc, tu sais que tout le monde s'en foutra complètement et que même le directeur qui veut tout le temps que les profs s'investissent ne le verra pas. Tu le sais? Tu vas pas te démobiliser? Tu vas te mettre à penser que tout de même ils pourraient faire un peu gaffe, hein? Non parce qu'après tu vas être triste t'auras pas le moral.
Bon. Je l'ai fait. Ce que j'ai fait, je l'ai fait en pensant aux bénéfices ultérieures que ça pourrait me rapporter. Je me suis obligée ainsi à utiliser un logiciel et à retravailler une langue que j'ai perdu de vue. D'autre part, j'ai obtenu de mon chef un papier avec toutes mes activités au sein de l'établissement, même que quand il l'a fait il m'a dit "ah, mais finalement vous faisiez pas mal de choses". Comme ça, si je me retrouve dans un pays où je ne pourrais être que prof je pourrais me la jouer, et avoir un poste mieux, peut-être, on verra.
Parce que quand vous faites des trucs dans un établissement, personne ne le voit. Or, et dans le privé, dans les grosses boîtes isl le savent, le personnel a besoin d'encouragement, de positif. Moi, je n'ai jamais vu un prof qui fait des trucs en plus et à qui on dit que c'est super d'être venu tous les mercredi après-midi pour répéter la pièce de théâtre, fabriquer les décor, s'occuper du journal, etc. Peut-être certains principaux le font-ils, mais ils sont rares ; les principaux aussi traitent les profs comme s'ils ne voulaient jamais rien faire. On met dans le même sac tous les profs. Et ceux qui refusent de s'investir sont souvent ceux qui l'ont fait avant, qui se sont investiti, qui n'ont récolté que des emmerdes, et qui en ont marre.
Moi qui aime travailler quand j'ai un travail, (et je n'ai pas toujours été prof), qui trouve que le travail est bon pour tout (combien de fois suis-je partie travailler avec un début de rhume, angine, et suis-je revenue, je ne blague pas, guérie, tellement cela me donne la pêche de travailler, et en particulier prof, parce que c'est gai, vivant, drôle, sympa), eh bien je vous jure qu'avec un ou deux ans de plus je faisais grève, pourquoi? Pour faire chier. Ce système qui vous dit "travaille" et vous empêche de le faire, occupe-toi des des élèves, mais pas comme tu sais qu'il faut le faire, qui tue l'initiative, sauf si tu la prends tout seul dans ton coin en accord avec toi-même, je le déteste, et pourtant, dans l'absolu, j'aime l'enseignement, j'aime être dans la classe avec les enfants, c'est un moment extraordinaire.
Prof, c'est un boulot où on peutêtre détesté, méprisé ou avoir de gros problèmes sur tous les fronts : les élèves, les parents, la direction, les collègues.
Heureusement : je ne suis plus prof.

Avant, je travaillais dans le privé, en France, à Paris. J'avais l'impression d'être traitée comme de la merde. Prof, j'ai l'impression qu'on te parle avec respect en face, mais que le système te prend pour une merde quand même, par derrière. Comme, à l'époque, je gérais mes horaires (on va dire que j'étais à peu de choses près, en free-lance), je ne peux même pas dire qu'il y a l'avantage des horaires.
Donc, s'il y a bien une grève que je soutiens, c'est celle des profs. En meême temps, elle me fait de la peine : elle n'aide pas à la compréhension du système par les usagers. Plus les profs font grève, plus on les déteste (ils n'assument même pas leur fonction ultime : garder les gosses)

J'arrête, je vais répéter mille fois la même chose et me pourrir ma journée.

21 novembre 2007

Le meilleur jambon du monde

L'année dernière, j'avais entendu dire à plusieurs reprises que tous les Français s'excitaient comme des idiots sur le Serrano, alors que les Espagnols savaient que le meilleur jamon n'était pas le Serrano mais le Jamon Iberico.
Bon. De toute façon, le porc, là où j'étais auparavant, on était déjà content d'en avoir, alors les finasseries sur le Serrano ou le Iberico, ça me paraissait vraiment abstrait.

Et ce week-end j'ai goûté du jamon Iberico.

Eh bien c'est vrai. c'est meilleur que le Serrano.

Comment expliquer. Le Serrano, c'est comme du Parme ou du jambon de pays, sauf que c'est meilleur à mon avis (et pourtant j'aime le jambon de pays; quant au Parme, je dois dire qu'il est probablement meilleur en Italie ; après, il y a l'autre jambon italien dont le nom m'échappe, Aoste peut-être et en fait je connais mal. Mais malgré toutes ces réserves, je demeure persuadée que le Serrano est meilleur ; sauf si vous allez chez le producteur le déguster le dimanche matin, en montagne, après le messe, au milieu d'un paysage d'une beauté ensorcelante, avec le petit vin du coin ; mais dans un tel contexte, tout est bon ; moi je parle de jambon acheté prosaïquement sur un marché, ou dans un supermarché ; dans les conditions de la vie courante ; eh bien dans ce contexte, moi je dis que le Serrano gagne).
Le Serrano est donc un jambon sec ; j'espère qu'aucun puriste du jambon ne me lit.
Le jamon Iberico est complètement différent. Il est gras, et le goût diffère. Il n'y a pas que le goût qui diffère, d'ailleurs, il y a aussi le prix.
Il faut que j'en rachète pour comparer encore. Mais il n'y a pas photo.
Voilà. Je suis contente d'avoir fait le point là-dessus. Mais que l'on se rassure : je ne bouderai pas le Serrano.

16 novembre 2007

Thucydide : histoire de la guerre du Péloponnèse

Eh bien, la fin de l'histoire sera brève. Les protagonistes étaient les Athéniens (impérialistes) et les Méliens (petit état indépendant). Les Méliens ayant refusé de s'allier avec les Athéniens et de se battre avec eux, contre Sparte et les autres cités anti-athéniennes, les Athéniens attaquent les Méliens, les battent, massacrent les hommes adultes et vendent les femmes et les enfants comme esclaves (la méthode ancienne pour rentabiliser les guerres).

Quand j'étais enfant, j'avais une vision ascendante de l'histoire : au fur et à mesure, me disais-je, les choses allaient de mieux en mieux. Quand j'ai rencontré ce type dans le train, Eduardo Galeano ou pas, il m'a demandé quel pays je préférais. Comme une petite courge de treize ans, je lui ai sorti tout de go que je ne connaissais aucun pays à part la France, mais que je savais que c'était le plus beau pays du monde. D'ailleurs, ai-je précisé en réponse à son silence souriant, tout le monde le dit alors ça doit être vrai. (ça c'est de l'argument!) je maudis rétrospectivement ma bêtise, mais en tout cas j'étais sincère. Je croyais que la vie humaine allait de mieux en mieux, et que la France y avait une part importante. Les "méchants" étaient rares, pensai-je, et d'ailleurs il y en avait de moins en moins.
Quand j'ai quitté la France, je pouvais encore croire à peu près cela. Avec des nuances. Il est évident que maintenant, tout ce bel édifice s'est écroulé. Je me suis sentie très bête, très petite bourgeoise, française, et surtout très triste. Les règles régissant le monde, si elles n'étaient pas ascendantes, alors, comment les expliquer? Eh bien, ce sont les classiques qui me l'ont dit : pas les gauchistes énervés, ni les cyniques de droite. Le monde est horizontal et répétitif. C'est dans la Bible aussi, au début du livre de la sagesse. Le soleil se lève, le soleil se couche, et la terre tient toujours. Les hommes sont des êtres de pouvoir, et le sage doit s'en tenir écarté (relire Sénèque). On peut aussi plonger dedans, mais le monde est fou, de plus en plus, et les tempêtes de plus en plus violentes. On ne sait plus où sont les gentils et les méchants, ils sont partout, même parmi les victimes.
Donc, relire les classiques aide à comprendre le monde. Avec une rigueur intellectuelle reposante et tranquille, ils ont observé ce qui les entourait et compris la vie humaine, non pas seulement celle de leur époque mais celle de toutes les époques.
Ce texte, à moi, ex-naïve de gauche, petite bourgeoise pétrie de bons sentiments, en révolte polie contre son milieu de droite française traditionnelle (il faut entendre ma tante, de 76 ans, dire d'un air sérieux : tout de même, Sarkozy, depuis qu'il est là, il a fait plein de choses! - je n'ai même pas eu le courage de lui demander quoi, nous étions dans une ambiance tellement proustienne, et je ne sais pas si vous avez remarqué mais il n'y a pas de place pour la contestation politique chez Proust, au milieu des fleurs, des madeleines, des robes du soir, des escaliers en volutes que l'on descend lentement, le son des revendications meurt tout seul), ce texte disais-je me fournit une clef d'explication simple; les hommes cherchent le pouvoir; toutes les formes d'organisation politique organisent l'accès au pouvoir. En politique extérieure, les choses sont encore plus simples : l'une de mes amies, comme moi, quoique moins bourgeoise à la base, mais créature d'illusion comme moi, me l'a bien résumé il y a sept ou huit ans : dans la vie, soit tu bouffes, soit tu te fais bouffer. Il nous a fallu tant d'années pour en arriver à cette conclusion ; je me fais pitié. Quoiqu'il en soit, dans le texte au dessus, c'est mieux dit.
J'aime ce texte parce qu'il me rassure. Face à la folie du monde, il me propose une analyse rigoureuse et abstraite. Pour lutter contre le désordre extérieur, qui tend à envahir notre espace intérieur, en provoquant le désespoir et un sentiment d'impuissance et d'injustice, il permet d'établir un calme intérieur, une rigueur, et même une courtoisie, refuge et réponse à ce que nous voyons autour de nous.

Nous ne craignons pas non plus que la bienveillance divine nous fasse défaut.

Suite de l'histoire.

Avant de raconter, une précision. Je suggère à mes lecteurs de lire à haute voix le texte, pas le mien, mais celui que je cite ; ce n'est pas la langue originale, mais le texte me paraît tout de même magnifique ; style ou idées ; pour moi, c'est comme du pain frais, du vin, quelque chose de léger et de délectable. Je suis désespérée de vivre dans un monde qui n'apprécie plus cela. Quand j'étais étudiante, mon prof voulait que je passe l'agrèg ; il y avait deux sortes d'êtres humains sur terre à ses yeux : les agrégés; et le reste. J'ai refusé ; beaucoup trop paresseuse, et puis je travaillais dans le marketing en même temps, et si j'aimais mes études, je détestais l'ambiance de bibliothèque poussiéreuse de la fac ; en plus mon prof était d'extrême droite : à l'occasion, il défilait en tenue de pénitent genre Ku Klux Klan ; Clovis le jetait dans les bras de Le Pen, par un procédé qui m'échappait. Entre le monde du Jeu des Perles de Verre et celui des supermarchés, j'ai choisi celui des supermarchés, parce que l'autre me semble lugubre. Je ne peux pas dire que je le regrette, mais je me suis tout de même éloignée de ce monde de culture qu'était la fac.
Je le redécouvre maintenant, surtout que j'ai du temps. Pourquoi est-il impossible de concilier les deux? Pourquoi le passé sombre-t-il dans un naufrage inexorable? Pourquoi perdons-nous la mémoire?
Bon, bref.

Les Impérialistes venaient juste de dire que le petit état indépendant ne pouvait rester neutre, car accepter leur neutralité aurait eu l'air d'un aveu de faiblesse.

Petit état indépendant, surpris, voire, le malheureux, choqué : Est-ce là la conception que vos sujets se font de l'équité ? Les cités qui n'ont avec vous aucune attache et celles que vous avez soumises, les mettent-ils donc sur le même plan ?


Impérialistes, techniques :
Ce ne sont pas les arguments plausibles, pensent-ils, qui manquent aux uns et aux autres ; mais si quelques cités conservent leur indépendance, ils pensent qu'elles le doivent à leur puissance et que c'est la crainte qui nous empêche de les attaquer. Ainsi en vous réduisant à l'obéissance, non seulement nous commanderons à un plus grand nombre de sujets, mais encore par votre soumission vous accroîtrez notre sûreté, d'autant mieux qu 'on ne pourra pas dire qu'insulaires et moins puissants que d'autres, vous avez résisté victorieusement aux maîtres de la mer.

Le petit état indépendant commence à trouver saumâtre le débat. Je saute quelques répliques plus locales. Voici comment ils résument la situation
: Voyons, si vous-mêmes n'épargnez rien pour maintenir votre empire et si des peuples déjà esclaves font tout pour secouer votre joug, nous qui sommes libres encore, nous commettrions la lâcheté et l'ignominie de ne pas tout tenter pour éviter la servitude ?

Et là, les Impérialistes se font cyniques : le petit état n'a aucune chance. Donc :
Non, si vous délibérez sagement. Car il n'est pas question pour vous d'une lutte d'égal à égal où votre réputation soit en jeu et où il vous faille éviter la honte d'une défaite. C'est sur votre salut même que vous délibérez et vous avez à vous garder d'attaquer des adversaires bien plus puissants que vous.

Ce cynisme doit écoeurer leurs interlocuteurs :
Eh bien ! nous savons que la fortune des armes comporte plus de vicissitudes qu'on ne s'y attendrait en constatant la disproportion des forces des deux adversaires. Pour nous, céder tout de suite, c'est perdre tout espoir ; agir, c'est nous ménager encore quelque espérance de salut.

Les Impérialistes s'en moquent, et ils savent très bien qui est le plus fort :
L'espérance stimule dans le danger ; on peut, quand on a la supériorité, se confier à elle ; elle est alors susceptible de nuire, mais sans causer notre perte. Mais ceux qui confient à un coup de dés tout leur avoir - car l'espérance est naturellement prodigue - n'en reconnaissent la vanité que par les revers qu'elle leur suscite et, quand on l'a découverte, elle ne laisse plus aucun moyen de se garantir contre ses traîtrises. Vous êtes faibles, vous n'avez qu'une chance à courir ; ne tombez pas dans cette erreur ; ne faites pas comme tant d'autres qui, tout en pouvant encore se sauver par des moyens humains, se sentent sous le poids du malheur trahis par des espérances fondées sur des réalités visibles et recherchent des secours invisibles, prédictions, oracles et toutes autres pratiques, qui en entretenant leurs espérances causent finalement leur perte.

Ah! voilà pour Moukmouk. Les dieux arrivent, mais discrètement. Les dieux anciens ne se voilaient pas de théories. Les dieux n'arrivent pas tout seuls, le petit état fait aussi confiance à ses alliances politiques. Si leur cause est juste, les dieux et leurs alliés les soutiendront. Comme la naïveté est ancienne! :
Nous n'ignorons pas, sachez-le bien, qu'il nous est difficile de lutter contre votre puissance et contre la fortune ; il nous faudrait des forces égales aux vôtres. Toutefois nous avons confiance que la divinité ne nous laissera pas écraser par la fortune, parce que, forts de la justice de notre cause, nous résistons à l'injustice. Quant à l'infériorité de nos forces, elle sera compensée par l'alliance de [l'autre état puissant, mais pas impérialiste, ennemi des Impérialistes] que le sentiment de notre commune origine contraindra, au moins par honneur à défaut d'autre raison, à venir à notre secours. Notre hardiesse n'est donc pas si mal fondée.



Les Impérialistes se marrent : comme l'a remarqué Moukmouk, on sait de quel côté se mettent les dieux.
Et là, ça devient excellent. Je surligne le meilleur selon moi : Nous ne craignons pas non plus que la bienveillance divine nous fasse défaut. Nous ne souhaitons ni n'accomplissons rien qui ne s'accorde avec l'idée que les hommes se font de la divinité, rien qui ne cadre avec les prétentions humaines. Les dieux, d'après notre opinion, et les hommes, d'après notre
connaissance des réalités, tendent, selon une nécessité de leur nature, à la domination partout où leurs forces prévalent. Ce n'est pas nous qui avons établi cette loi et nous ne sommes pas non plus les premiers à l'appliquer. Elle était en pratique avant nous ; elle subsistera à jamais après nous. Nous en profitons, bien convaincus que vous, comme les autres, si vous aviez notre puissance, vous ne vous comporteriez pas autrement. Du côté de la divinité, selon toute probabilité, nous ne craignons pas d'être mis en état d'infériorité. Quant à votre opinion sur [vos alliés], dont vous escomptez qu'elle vous secourra pour ne pas trahir l'honneur, nous vous félicitons de votre naïveté, sans approuver votre folie. Vos alliés, il est vrai, entre eux et dans leurs institutions nationales, font preuve généralement de droiture ; mais dans leurs rapports avec les autres peuples, que n'y aurait-il pas à dire sur leurs procédés ! Pour tout dire en un mot : plus manifestement qu'aucun peuple de notre connaissance, ils appellent l'agréable l'honnête, et l'utile le juste ; une telle disposition d'esprit ne s'accorde guère avec vos folles prétentions sur votre salut.

Voilà. Attendre encore un peu pour la fin.

15 novembre 2007

Je les nettoie tous ou seulement ceux qui ont un mauvais gouvernement?



J'ai pris ça sur le site de Mafalda, j'espère que j'ai le droit. Petite pause en attendant la suite de l'histoire.

14 novembre 2007

La justice n'entre en ligne de compte dans le raisonnement des hommes....

... que lorsque les forces sont égales de part et d'autres; dans le cas contraire, les forts exercent leur pouvoir et les faibles doivent leur céder.
Le monsieur qui a dit cela vivait il y a deux mille cinq cent ans, à la louche. Il a inventé l'histoire, si ce n'est le concept, ce dont on peut débattre, ce que je ne ferais pas, au moins le mot, qui signifie enquête dans sa langue.
Le contexte dans laquelle cette phrase n'a pas été prononcée, mais aurait pu, voire aurait du l'être est le suivant.

Une puissance impérialiste a laissé déclencher une guerre contre elle dans le but de soumettre ses adversaires et d'en tirer plus de puissance. Cette puissance impérialiste est une démocratie. Son principal adversaire n'en est pas une. Si quelqu'un trouve que ces évènements ont quelque ressemblance avec des évènements récents, ... - ah?
Les impérialistes, dont le franc-parler me charme, envoient des ambassadeurs à un Etat secondaire, indépendant, mais plutôt alliés à ses adversaires.
Quelques extraits du dialogue :

Les Impérialistes :
De notre côté, nous n'emploierons pas de belles phrases ; nous ne soutiendrons pas que notre domination est juste, parce que nous avons défait [notre ennemi commun] ; que notre expédition contre vous a pour but de venger les torts que vous nous avez fait subir. Fi de ces longs discours qui n'éveillent que la méfiance ! Mais de votre côté, ne vous imaginez pas nous convaincre, en soutenant que c'est en qualité d'[alliés de notre adversaire] que vous avez refusé de faire campagne avec nous et que vous n'avez aucun tort envers nous. Il nous faut, de part et d'autre, ne pas sortir des limites des choses positives ; nous le savons et vous le savez aussi bien que nous, la justice n'entre en ligne de compte dans le raisonnement des hommes que si les forces sont égales de part et d'autre ; dans le cas contraire, les forts exercent leur pouvoir et les fables doivent leur céder.

L'Etat indépendant :
A notre avis - puisque vous nous avez invités à ne considérer que l'utile à l'exclusion du juste - votre intérêt exige que vous ne fassiez pas fi de l'utilité commune ; celui qui est en danger doit pouvoir faire entendre la raison, à défaut de la justice et, n'eût-il à invoquer que des arguments assez faibles, il faut qu'il puisse en tirer parti pour arriver à persuader. Vous avez, autant que nous, avantage à procéder de la sorte. En vous montrant impitoyables, vous risquez en cas de revers de fournir l'exemple d'un châtiment exemplaire.

Impérialistes (même pas peur):
En admettant que notre domination doive cesser, nous n'en appréhendons pas la fin. Ce ne sont pas les peuples qui ont un empire, qui sont redoutables aux vaincus, mais ce sont les sujets, lorsqu'ils attaquent leurs anciens maîtres et réussissent à les vaincre. Si du reste nous sommes en danger de ce côté, cela nous regarde ! Nous sommes ici, comme nous allons vous le prouver, pour consolider notre empire et pour sauver votre ville. Nous voulons établir notre domination sur vous sans qu'il nous en coûte de peine et, dans notre intérêt commun, assurer votre salut.

Et là, le petit état indépendant s'étonne, le naïf :
Et comment pourrons-nous avoir le même intérêt, nous à devenir esclaves, vous à être les maîtres ?

T'ar ta gueule à la récré, répondent les maîtres du monde :
Vous auriez tout intérêt à vous soumettre avant de subir les pires malheurs et nous nous aurions avantage à ne pas vous faire périr. (Ils sont sympas, tout de même, ils préviennent)

Le petit état indépendant, peu désireux d'attaquer la puissance du moment, argumente rationnellement :

Si nous restions tranquilles en paix avec vous et non en guerre sans prendre parti, vous n'admettriez pas cette attitude ?

Les Impérialistes (tout ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous) :
Non, votre hostilité nous fait moins de tort que votre neutralité ; celle-ci est aux yeux de nos sujets une preuve de notre faiblesse ; celle-là un témoignage de notre puissance.

Voilà de la politique positive. Pas de longs discours sirupeux, dans le style actuel, qui n'éveillent que la méfiance.

To be continued. La fin de l'histoire est bien.

11 novembre 2007

Allons z'enfants

Gaz, attaques aériennes, rats, tranchées, Bretons, Sénagalais, galerie des glaces, Dames (chemin des), voie sacrée, boue, poux.

La première guerre mondiale : une guerre totale.
En vous aidant des document et de vos connaissances, vous rédigerez un paragraphe argumenté d'un quinzaine de lignes dans lequel vous expliquerez en quoi la première guerre mondiale était une guerre totale.

Abdelkhader : madame, une guerre totale, c'est comme une guerre mondiale?
Antoine : On peut faire vingt lignes?
Ben : Madame, c'était quand, la première guerre mondiale, déjà?
Chaïma : Est-ce que je peux écrire en rose?
Elodie : Je peux numéroter mes lignes?
Hassène : La première guerre mondiale, c'est celle avec Hitler?
Mohamed : Il faut mettre des dates?
Olivier : L'orthographe compte?
Pascale : La présentation compte?
Sonia : Qu'est-ce que vous entendez exactement par Guerre totale?
Zeineb : On est obligé de faire des phrases?

Two months later...

Fils Aîné est rentré le 11 septembre (...) et Petit Garçon le 14. Avec un scepticisme courtois. Je leur affirmais que si si si, on apprend vite les langues quand on est enfant, mais, après leur première journée d'école, il leur a paru difficile d'imaginer que ces sons pouvaient leur devenir intelligibles.
Je leur ai alors dit : Deux mois, on attend deux mois, d'accord? Vous verrez, dans deux mois, comme vous comprendrez et parlerez. Tu crois? disait Petit Garçon. Fils Aîné faisait la gueule, genre : après tout tu assumes. Viens pas me demander de faire mes exercices comme les autres, hein.

Bilan, deux mois après : Petit Garçon a découvert que l'on peut communiquer avec une utilisation réduite du langage. Escondite? suggère-t-il à Bo (qui, apparemment, est chinois). Ils se comprennent très bien. Les dames de l'immeuble (charmantes, ou odieuses, ça dépend du point de vue, bourgeoises espagnoles d'un certain âge pomponnées et parfumées, avec petit chien en option) lui demandent : Entiendes espagnol? Et il répond avec désinvolture : Un poquito, et elles se récrient à qui mieux mieux : Muy bien! Que guapo!
Fils Aîné a découvert qu'il y a (en tout cas ici) un staïle franchote (ça s'écrit comme ça?). Il se la joue complètement. Quand on lui pose des questions trop précises sur la France, il disait au début avec un peu de gêne qu'il ne connaissait pas la France (il n'y a vécu qu'un an). Dans son immense naïveté, il était déçu de si peu correspondre à l'idée que son interlocuteur se faisait d'un Français. Mais il parle à des iliens qui ne sont jamais sortis de l'ile, ou tout au moins de l'archipel, et qui le regardent avec admiration (lui, le grand voyageur) - il a compris et il en rajoute.
On vient lui demander le vocabulaire de base, surtout dans les douches, en sport. "ça veut dire quoi, gillipollas?" me demande-t-il après. "Je ne sais pas", dis-je. "Ah, d'accord, je vois, répond-il, et je lui précise que je ne sais vraiment pas ce que ça veut dire, même si je sais bien que c'est un gros mot (ce qui n'est pas exactement la vérité). Je lui fais remarquer qu'on peut s'en passer et qu'il n'aura pas à s'en servir dans les contrôles. Ses copains lui posent pleins de questions intéressantes sur les diverses activités auxquelles ils souhaiteraient s'adonner avec des jeunes personnes, et je pense que son stock d'eexpressions idiomatiques adolescentes augmente sympatiquement (pourvu qu'il n'oublie pas la version arabe, ça pourra toujours lui servir).
Dernièrement, une fille de sa classe lui a demandé la signification d'un mot. Pas compris. Elle sort un préservatif de son sac, et il lui donne le mot en français. "Tu te rends compte! Elle est dans ma classe et elle a des préservatifs! Tu trouves ça normal?" Je ne trouve, de toute façon, rien normal. A son âge, j'étais déjà en retard par rapport aux filles de mon âge, j'avais tout lu mais tout était théorique, si je puis dire. Alors ces filles de 13 ans en string et body, je ne fais aucune remarque, je suis ultra-larguée; je suis seulement contente de ne pas avoir de fille, je ne sais pas ce que je ferais. Je lui ai dit que si vraiment elle en avait l'usage, il valait mieux qu'elle en ait ; et que c'était peut-être un genre (c'est possible, non?).

Bref. Ils parlent espagnol, maladroitement, mais bon, ils ont des copains, on mange des tapas et le ciel est bleu.

07 novembre 2007

Les Indiens feront-ils plier le gouvernement de Dubai?

Selon le site de Solidarité Ouvrière, les Indiens de Dubai ont tenu bon et font plier le gouvernement, qui va (?) demander "aux entreprises de construction de revoir les salaires et d’envisager la création d’un salaire minimum."
Dans le pays du libéralisme absolu, total, et ravageur, on a peine à y croire.
J'attends la suite.
Les médias français s'en battent les c... Un peu de sang serait le bienvenu. Un meurtre, une bombe, un truc, quoi, merde, de l'action! Ils sont nuls, les Indiens, ils ont même pas de terroristes!
Info charmante : Jack Lang est à Abu Dhabi. Et que fait-il là-bas?
Il visite le campus de l'Université Paris-Sorbonne d'Abu Dhabi.
Hein? faites-vous. Eh oui, eh oui, on ne sait pas s'ils ont vendu le kit Louvre, mais ils ont casé le kit Sorbonne!
Oui, parce que l'Université d'Orléans Abu Dhabi, ça le fait pas. Mais La Sorbonne Abu Dhabi!
Ils font même de l'Histoire!

Un point demeure obscur : ont-ils déposé un copyright pour La Sorbonne? Non, parce qu'il y a un milliardaire chinois (de grands démocrates par là aussi) qui a copié Maison Laffitte.
J'avais à l'époque trouvé un lien qui disait qu'il avait déposé sa copie, de façon à ce que toute personne qui veuille refaire Maisons Laffitte ne puisse le faire ou lui paie des droits. Mais je dois avouer que c'était peut-être de l'intox car je ne retrouve rien.

Bon, enfin. Pensons aux Indiens de Dubai : ils sont traités comme de la merde, et pas de la merde dubaiote (vous ne savez pas, vous, ce que sont des toilettes d'Arabes riches à Dubai; moi si, je sais, ah,ah, parce que j'ai donné des cours de Français; et encore, ils n'étaient pas très riches; la pièce fait quatre mètres carrés, le sol et les lavabos sont en marbre, la chasse d'eau et les robinets en or ou en plaqué or; le tout d'un goût très fin, délicat, mi-victorien, mi-Louis XIV- Napoléon III, tout ce qui se fait de léger, avec la patine dorée - les Indiens vivent à soixante dans des maisons prévues pour une famille de quatre ou six personnes).
Ils sont dans une situation qui aurait plu aux socialistes du début du XXième siècle : ils fabriquent de leurs mains la richesse de leurs employeurs, et je suis prête à parier qu'entre leur richesse et celle des types dont ils contruisent les biens, il y a un écart nettement supérieur à celui qui existait entre, mettons, un mineur, et le patron de la mine au XXième siècle (je pense à Germinal). Combien de fois supérieur, je ne saurais le dire, et je déteste les affirmations à l'emporte-pièce. Cela dépend d'ailleurs de l'employeur et du propriétaire. Mais je dirais que l'écart doit être au moins du double et doit pouvoir aller jusqu'au décuple (si la richesse mondiale augmente, les écarts entre les extrêmes augmentent donc mécaniquement).
Ils fabriquent le richesse et non seulement ils n'en retirent rien, mais ils peuvent à peine vivre. Voilà le libéralisme exacerbé - ou, non, pas exarcerbé, juste naturel.
Maintenant, les Indiens de Dubai n'ont probablement plus rien à perdre. Comme je voudrais en savoir plus!
L'auteur du Journal de Bridget Jones, a écrit un autre roman, Caus'Célèb, négligeable, mais qui m'a frappé par une de ses pages; vraiment frappé. L'héroîne se retrouve je ne sais comment à collaborer avec une ONG qui vient au secours de Réfugiés africains. L'héroïne, une jeune londonienne aussi engagé politiquement que Bridget Jones (ou moi), se retrouve à sa propre sureprise et sa grande frayeur en Afrique, dans une vallée, avec plein de travailleurs humanitaires, à attendre l'arrivée des réfugiés; elle attend, elle s'ennuie, elle pense à Londres, à son copain, etcet puis les réfugiés arrivent. Et là, l'auteur écrit les quelques phrases que j'ai retenu du livre; en gros, l'héroïne, bien que totalement évaporée, secouée par la vue des ces gens qui arrivent en masse, épuisés, désséchés, désespérés, ayant tout perdu, se dit que le monde entier devrait s'arrêter de vivre ou de respirer devant un tel spectacle; que plus rien ne compte; qu'il faut avertir tout le monde; que l'Angleterre entière, l'Europe entière, le Monde entier doit les aider, les secourir, s'occuper d'eux parce qu'il n'est pas possible d'abandonner ces familles détruites, ces enfants sans parents, ces parents sans enfants; mais tandis que le flot ininterrompu des réfugiés déferle elle réalise que le monde entier, l'Europe entière, l'Angleterre entière est déjà au couant, qu'ils savent, que tout le monde sait, qu'elle-même savait, et que personne ne fait rien.
Ces quelques phrases m'avaient frappées par leur justesse.
Donc, là, par exemple, je vais finir d'écrire mon truc sur les Indiens. Je vais publier, et puis je vais aller manger parce que j'ai faim. Je ne me jetterai pas par la fenêtre; je n'irai pas hurler dans la rue qu'il faut soutenir les Indiens, ou les Birmans (qui sont moins d'actu, hein?Maintenant qu'ils ne se font plus massacrer), ou les Nauruans (qui n'ont eu que ce qu'ils méritent, paresseux incapables de gérer leur fortune!). Vous non plus.
Nous avons raison. Chacun sa merde.

05 novembre 2007

mère de famille

Techniquement, je suis donc une mère de famille, et ce d'autant plus que je ne travaille plus. J'aime mes enfants, mais je déteste être une "mère de famille".
Ma mère en était une. Avec tous ses caprices - de malade (physique). Elle trouvait ridicules "les mères" qui faisaient manger des légumes aux enfants - ah, ah, elle n'était pas comme ça, elle, elle mangeait surtout des pâtes et de la viande et elle ne s'en portait pas plus mal. "Les mères" qui sortaient leurs enfants étaient ridicules aussi. Quelle idée : sortir les enfants et les emmener prendre l'air. Elle ne le faisait que de temps en temps, ironique à l'égard des "régulières", des habituées du parc. Je mourais d'envie d'y aller aussi. Mais pas question d'y aller sans elle, et pas question d'y aller tous les jours. Il y avait aussi les "mères" qui faisaient réviser leurs enfants : les imbéciles : elles ne m'avaient pas comme fille, moi qui l'avait envoyé promener, et, je suppose, vexée, quand elle avait voulu prendre en main mes études, pour se conformer à un modèle. Ces pauvres mères avaient des filles dociles (elle était, sur ce coup, bien que vexée, secrètement fière de moi) et vivaient ridiculement la scolarité de celles-ci, par procuration. Ma mère me faisait "entièrement confiance". Elle pouvait. Dans la série, elle a fait "entièrement confiance" à ma soeur. C'était une moins bonne idée.
Mon dégoût des "mères" vient donc de ma mère. Elle détestait ses consoeurs, parce qu'elles faisaient preuve de plus de sérieux qu'elle dans le suivi. Pour ma mère, être mère avait quelque chose de sacré : elle était, elle, mère, et c'était tout. Il y avait juste à avoir un enfant, et on devenait "mère". Comme elle : elle s'idolâtrait. Tout le surplus (se soucier des repas, des devoirs, etc) était inutile.
En fait, les médecins lui avaient déconseillé d'avoir un enfant, et elle leur avait désobéi deux fois : sa petite révolte de petite bourgeoise malade, un peu pitoyable. Je pense que c'était pour cette raison que sa seule maternité biologique lui paraissait merveilleuse, et que tout le surplus, qu'en réalité elle assumait mal parce que cela l'épuisait, elle le classait avec mépris et assurance dans la catégorie "inutile".
Curieusement, je n'ai jamais vu ma mère comme une femme malade. Il m'a semblé que sa santé se dégradait quand j'ai eu 14 ans, mais elle était déjà très malade avant. Elle parlait souvent de la mort, et comme elle ne mourait jamais, je barbotais dans le flou : allait-elle mourir, ou non? J'ai angoissé au début, après, sa mort est devenue abstraite. Quand elle a fini par mourir, ce dont elle m'avertissait depuis 20 ans, elle est morte d'autre chose.
J'essaie d'éloigner l'image que j'ai d'elle pour la rendre plus générale. Malade, elle a eu deux filles, ce qui l'épuisait, et elle justifiait par des raisonnements tout ce qu'elle ne pouvait ou ne voulait pas faire; je pourrais envisager les choses avec plus de douceur si elle avait elle-même été plus douce. Mais elle était comme un sergent-chef.
Quand j'ai eu un enfant, elle a joué les blasées, et elle s'est attendu à ce que je l'imite : elle avait été tellement extraordinaire que je me devais de la prendre pour modèle. Elle a été déçue de mes divergences, et pleine de rancune. Rien ne lui faisait plus plaisir que de dire "Tu es comme moi". Rien ne l'agaçait plus que de me voir prendre des voies différentes.
Si je ne sors pas les enfants, je l'imite.
Si je les sors, je suis une de ces mères qui croient utile de sortir les enfants.
Quand je fais des nouilles, je l'imite.
Quand je fais une brioche, je suis de ces mères qui croient utile de cuisiner.
Quand je laisse les enfants faire leurs devoirs comme ils veulent y compris les bâcler (comme ma soeur), je l'imite.
Quand je me bats pour que les devoirs soient bien faits, je suis de ces mères qui croient utiles de suivre les études de leurs enfants.
Quand je l'imite, je me déteste.
Quand je joue le rôle des mères qui..., je la vois me détester.
Mise au point intéressante.
Merci à Filomène qui a provoqué cette réflexion par sa question. C'était l'objectif de mon blog : réfléchir sur ma mère.
Cela me rend affreusement amère. Brr. Envie de beurk. Je n'aime pas penser à elle.

04 novembre 2007

Etre indien à Dubai

Les indiens de Dubai se révoltent... Je ne me sens pas la plume pour écrire des trucs intelligents là-dessus. Voilà un lien.
Une image : un camion dans une rue, large, à trois voies. Le camion est entièrement clos, ses parois sont de métal. Entièrement clos : pas tout à fait : à trente centimètres du toit, un interstice d'environ dix centimètres laisse, sur toute la largeur du camion, passer l'air et la lumière.
A l'arrière du camion, une porte, et un petit escalier.
Que transporte donc ce camion? A la voir, et machinalement, on pense à des animaux, mais quels animaux sortent par une porte et descendent un escalier?
?
?
Des indiens.

Maintenant, une histoire drôle, que m'a raconté mon prof de conduite, pakistanais, dans ce même pays.
Je la fais en anglais, à peu près tel qu'il me l'a raconté (vous verrez, ce n'est pas de l'anglais).
Un sponsor est un dubaiote qui "sponsorise" un étranger pour qu'il vienne dans le pays. Nous avions nous aussi été "sponsorisé".
(il faut essayer d'imaginer l'accent indo-pakistanais, c'est mieux).
Local man (=dubaiote), rich man, lot of malvory sponsoring, driving car, kill malvory (ne me demandez pas, ça veut dire indien, je ne sais pas pourquoi).
Police catch local man, and says : go to jail.
Local man says : why you put me to jail?
Police says : but you kill man!
Local man : what man I kill?
Police : this man, malvory man.
Local man : I kill malvory? So what? I have lot of malvory of my own, you call his sponsor, I give to the sponsor one malvory, no problem.
(c'est là qu'il faut rire).
Conclusion mélancolique de Sayyed, mon prof : Local man, not good man. But we need locals.

(Ce même Sayyed voulait absolument que je me mette un foulard sur la tête pour que tout le monde voit que j'étais une gentille dame. "You good women, habibi, you just put scarf, everybody know you're good women").

Si vous ne comprenez pas l'anglais de Sayyed, je traduirai.

Parc, vélo, marché, tapas, De Cecco, sieste

Vive la civilisation; je mène ici une vie merveilleuse. Le week-end dernier, nous avons marché dans la montagne.
Ce week-end, les enfants ont fait du vélo dans le parc; cela semble peut-être anodin, mais l'existence de routes lisses, et non pas pleines de nid de poules, d'un parc verdoyant et agréable, traversé par des familles, des jeunes, des enfants, transforme le quotidien. Oui, des activités simples comme promenades en vélo ou en roller, m'émerveillent. (Avant, c'était possible théoriquement, après une recherche active de routes sures et lisses, le chargement du matériel dans la voiture, vingt minute de route, et supporter d'être le spectacle des jeunes du village d'à côté, morts de rire, venus regarder des Français se distraire).
Aujourd'hui nous sommes allés à pied et en famille (même remarque sur les routes) au marché, en revenant nous avons bu une bière dans un petit bar au bord d'une place très grand siècle/rococo, au milieu des bananiers et des palmiers, en mangeant quelques tapas (papas à la brava et pulpo a la je ne sais plus quoi).
Excellentes pâtes (De Cecco, depuis le temps que l'on me bassine avec ça "les meilleures d'Italie" avec les Barilla que je n'aime irrémédiablement pas, mais les De Cecco sont effectivement très bonnes).
Avec un vin blanc du pays, plutôt raide, mais j'aime bien les petits vins, et puis je suis si contente de reboire du vin qui ne me rende pas malade, comme celui de là-bas, plein de sulfate.
Puis sieste.
Puis re-parc.
Simple, efficace.

01 novembre 2007

Halloween

Jamais je n'ai fêté Halloween; du temps où je vivais dans un univers anglo-saxon, Fils Aîné était très jeune et j'ai horreur des fêtes; puis nous sommes allées dans des zones peu concernées par la chose; l'année dernière, le 31 octobre, les enfants ont reçus les gâteaux de l'Aid, ou quelque chose dans ce goût-là.
Hier, sur l'invitation pressante des amies françaises des enfants, nous sommes allées à une petite fête organisée par les profs d'une école anglaise. Excellent! Tout ce que l'on peut faire avec de la bonne volonté!
Le minuscule appartement qui tient lieu d'école avait été redécoré : cartons aux fenêtres, pour bloquer la lumière, les murs, sols et plafonds entièrement tapissés de sac poubelles noirs, avec des dessins fluo dessu; de fausses toiles d'araignées géantes, quelques faux squelettes et cadavres. Un parcours dans le noir quasi total, mi-tunnel (les tables!), mi-grottes (les salles), était organisé, avec des monstres (les profs!) à chaque angle. Je n'en suis pas revenue. Les enfants ont adoré. Certains sont sortis en pleurant, tant fonctionne l'illusion. Génial.
Inutile de vous dire que ça m'a donné des idées... peut-être pour un anniversaire. Je vais y réfléchir (le principe du parcours est à retenir).
Pourquoi donné des idées? Après avoir haï les fêtes d'enfants, je suis passée à l'étape suivante, plus positive, faire des méga-super-fêtes. Avec très peu de choses on peut. L'année dernière, j'ai fait un super-truc pour Petit garçon. Mais les enfants n'étaient pas très difficiles. ici, apparemment, c'est anniversaire dans des boolings ou des fast-food - rien que l'idée me donne envie de vomir. Aliénation absolue. Donc, il faut trouver LE truc qui fasse que les gosses n'aillent PAS dans un booling et reviennent en disant que WAAOU. Et en fait, ce n'est pas si dur (un enfant reste un enfant).
L'erreur à ne pas faire, c'est de tout préparer à la dernière minute. Là, c'est l'horreur. Mais si on s'organise, on peut faire quelque chose de bien. La planification, y a que ça de vrai. Staline le savait.