Je reprends le problème de l’intégration, cher à Libertad, et je le met en relation avec un billet très touchant écrit par Chiboum.(Et je fais même un lien hypertexte, alors que je suis super paresseuse, c’est pour quand les liens en soufflant dessus ?)
J’ai mis un commentaire sur son blog mais je partais trop dans une autre direction, c’était trop axé sur moi donc je vais faire un billet ici.
Je suis arrivé il y a sept ans, pour deux ans, ou peut-être trois. J’avais déjà passé six ans dans deux pays étrangers, donc j’avais ma technique : ne pas essayer de s’intégrer, ça prend trop de temps, et en quelque mois on n’a pas le temps : non, plutôt foncer dans le tas et prendre ce qui vient. Une sorte de spontanéité désordonnée et protéiforme.
J’ai d’abord passé un an dans une petite ville où je me suis mortellement ennuyée. Pas de bibliothèque, pas de cinéma, pas de librairie, et je n’aime pas la plage – de toute façon j’habitais tout près.
Tous les locaux que j’abordais étaient fuyants. Il faudra que je raconte une histoire, précisément, qui m’a beaucoup surpris. J’ai pensé très vite à Route des Indes, et à une caractéristiques des Indiens évoquées par le livre : Les Indiens ne disent jamais non. Ici non plus. Les gens disent oui tout le temps, mais ils ne font pas ce qu’ils disent. Maintenant, à leur façon de dire oui, je sais si le truc va se faire, mais avant je ne « sentais » rien et j’étais souvent déçue. Attention, ce n’est ni de l’hypocrisie ni du mensonge, les gens ne disent pas non pour ne pas froisser leur interlocuteur. Je précise que je suis devenue comme ça. Je n’ai aucune vergogne à dire oui, puis à abandonner en disant « bin finalement non ».
Exemple de dialogue :
- Est-ce que les livres de sixième sont arrivés ?
- Normalement.
- Vous pouvez aller vérifier ?
- Non, ils ne sont pas.
- Alors quand ?
- demain, ‘nch’Allah.
- Vous m’avez dit ça hier.
Mimique d’excuse.
A petite dose, ça passe, mais au bout d’un moment, vous vous mettez à vivre dans un univers flottant, sans règle, sans dates, où les choses peuvent avoir lieu, ou pas, ou les évènements eux-mêmes décident de leur existence, et où vous flottez entre eux avec une désinvolture rêveuse. Ça n’est pas désagréable en soi, si l’on s’y abandonne, mais voilà, je ne m’y abandonne pas. Par moment, je suis en rage. Enfin j’ai mis au point cette année LA stratégie, l’amabilité têtue : c’est courtois, mais têtu. Je fais chier poliment, donc à la fin je suis servie.
Bon, bref.
Au cours de mon séjour, ma situation a évolué et je me suis vue rester dans le pays pour beaucoup plus longtemps (quand l’Ours envoie des CV avec son travail ici, ça casse tout de suite le CV ; depuis qu’il a annoncé aux chasseurs de tête qui l’ont dans leur dossier son nouveau job il reçoit des propositions d’emploi autrement plus intéressantes ; le boulot qu’il a trouvé, c’est la clef de la serrure de la porte de la prison). J’ai donc été plus attentive à ce qui m’entourait, ou attentive dans un esprit différent.
Je suis entourée de nombreux Français, de locaux et d’étrangers.
Sauf quelques personnes qui me détestent farouchement parce que j’ai pris parti dans des histoires les concernant, j’ai la réputation d’être sympa, le genre gentille. Un monsieur du pays a dit à sa femme que j’étais un ange. Pour certains de mes collègues locaux je suis la seule Française pas mariée à un local sympa (ou presque sympa). Ils me parlent dans la langue fleurie du pays, « tu nous connais », « nous avons tellement d’estime l’un pour l’autre ». Ces mots, pour moi, ne veulent rien dire, mais je suis moins critiquée ou regardée comme une étrangère que d’autres (il faut dire que certains collègues « glissent » au milieu des locaux sans les voir, avec un manque de courtoisie hallucinant).
Pour mes collègues français je suis rigolote et sympa, en gros. Certains soulignent mon dynamisme, alors que je ne me sens pas du tout dynamique.
Pour d’autres personnes, j’ai l’image d’une fille sympa. Cette année j’ai pris des distances avec beaucoup de gens, mais toujours courtoisement et beaucoup de gens m’invitent car ils veulent m’avoir une dernière fois. Donc, je ne suis pas trop antipathique.
Cependant, ce qui est évident, c’est que la réaction des gens est finalement liée uniquement à mon attitude, courtoise, donc, et pas à ce que je suis. Lorsque parfois je dis des choses qui montrent que je ne suis pas si courtoise, ou que la courtoisie est une simple façon d’être en société, les gens s’amusent et réagissent en disant : « Ah ! Mais en fait, tu n’es pas si … »
Or, mon objectif n’est pas d’être hypocrite. Je suis courtoise parce que cela facilite les choses, et parce qu’aucune personne de mon entourage ne mérite vraiment ma mauvaise humeur. Je n’ai pas envie de balancer mon ego et mes états d’âmes à la figure des gens.
Mais au final, cela crée un décalage entre ce que je suis et l’image que je donne de moi.
Est-ce que je suis une hypocrite ?
J’estime plus convenable de donner à mes sentiments un vernis policé : dois-je au contraire critiquer, émettre des remarques sincères qui peuvent être blessantes ?
Je trouve que les gens ont un ego énorme, mais gonflé, qui se blesse et s’irrite à la plus petite remarque : il m’a regardé… elle a eu l’air de dire que…. Elle n’a pas à …. Je suis incapable d’accorder la même importance à des remarques, regards ou réactions. La plupart du temps, je m’en moque. Donc, on me prend pour une gentille, ce que je ne suis pas : je critique, je râle, j’ai des antipathies, mais discrètes.
Suis-je hypocrite ?
(Je précise que quand je suis mécontente de quelqu’un, je me débrouille pour le lui dire, clairement et courtoisement, en lui laissant une porte de sortie pour son ego ; mon objectif est que l’on revienne le plus vite possible à des relations efficaces ; j’exprime mon mécontentement, mais c’est tout ; il y a aussi des cas où je ne maîtrise rien, où je suis injuste, rageuse, emportée… Ils sont rares, justement parce que je me contrôle).
Alors, suis-je hypocrite ?