28 juillet 2007

Le pays dans lequel je ne suis pas morte - 5

En voiture, emmitouflée dans deux pull et une couverture, et toujours gelée, d’un froid qui pénètre jusqu’aux os, je lui ordonne d’aller à l’hôpital militaire.

- Mais on n’y a pas droit.

- Les urgences.

- Tu crois ?

- Je me couche par terre et je meurs dans le hall s’il le faut.

Mon mari est d’une famille de travailleurs ; les ordres sont les ordres et le chef c’est le chef. Si on n’a pas le droit d’aller à l’hôpital militaire on n’a pas le droit. Moi, j’essaie d’abord d’obtenir ce que je veux.

A l’hôpital, personne ne fait d’objection, de toute façon je ne tiens plus de bout, je ne parle plus qu’à peine, on me met dans un fauteuil et on me transporte en obstétrique, détail croustillant, à côté d’un bébé de deux jours.

Comme je respire mal, j’appelle les infirmières, moyennement aimable, pour leur dire : « No puedo respirar », elles vont peut-être comprendre, non ?

Elles finissent pas m’amener une bouteille d’oxygène, puisque vraiment je tiens à étouffer.

J’essaie de leur faire comprendre que quand on est enceinte et qu’on respire mal, c’est peut-être gênant pour le bébé, non ?

La nuit se passe. La jeune mère me regarde avec épouvante toute la nuit. Je respire comme une locomotive, je tremble de fièvre et je lui dis « Lo siento » tout le temps parce que mes maigres connaissances en matière de santé publique me permettent de douter du bien-fondé de mon placement aux côtés d’un nouveau-né.

Au matin, après divers mouvements, arrive un médecin-chef accompagné de jeunes gens, genre étudiants. Souriant, il fait une visite de prof. Il discute avec l’infirmière « et celle-là, qu’est-ce qu’elle a ? « Puis tout d’un coup il me voit et me dit d’un air emmerdé « No estas bien, cariño … »

Au moins, il y en a un qui suit.

Ils partent.

Un autre revient, et oh joie c’est mon gynéco. Il m’annonce qu’on va me faire sur le champ une césarienne. Il fait partie des médecins qui inspirent confiance. Je suis rassurée.

Mon mari débarque et me dit qu’on va me faire une césarienne. Je sais, dis-je.

Tout d’un coup tout le monde s’énerve, on vient me chercher, je suis sur un lit roulant, je descend dans des ascenceurs, je rentre en salle d’op, mon mari vient me dire qu’il est là et que ça va aller, on sort le bébé et on me soigne après. Tout baigne, quoi.

Piqûre dans le bras, je m’endors toute contente. Du moment qu’on sort le bébé. Je me sens déjà mieux.

25 juillet 2007

Le pays dans lequel je ne suis pas morte - 4

Le médecin du centro a refusé avec la dernière énergie de me prescrire de la cortisone (pas de cortisone pour les femmes enceintes). J’ai essayé de lui dire que je ne me sentais vraiment pas bien mais non : femme enceinte, pas de cortisone.

Le soir, j’appelle le père d’un élève (je donnais des cours de français), pharmacien de son état et je lui dis que je ne suis pas bien. Il vient chez moi et m’emmène chez un copain médecin qui me fait une piqure de cortisone. Ça va un peu mieux pendant trois jours et puis un jour où j’avais été particulièrement épuisée, tout d’un coup je me sens vraiment mal, comme un vertige, quelque chose de bizarre et de très soudain, et je n’ai que le temps de prendre un seau pour vomir. C’était curieux : rien en moi ne me signalait une gastro, mais ce vomissement m’a fait comprendre que mon corps disait : stop ! Mais stop à quoi ?

Une inquiétude inexplicable m’a envahie et j’ai appelé mon mari pour lui dire que quelque chose n’allait pas et qu’il allait devoir m’emmener à l’hôpital. Il a poussé l’habituel grognement de rage de monomaniaque du travail dérangé dans son vice (il n’avait travaillé que 10 heures ce jour-là, sa journée était loin d’être finie) mais il a surgi, aimable comme une porte de prison, quarante minutes après.

Or, dans l’intervalle, quelque chose de très facile à interpréter m’était arrivé : la fièvre avait commencé à monter, avec une violence incroyable : mes mains et tout mon corps tressautaient, je n’arrivais plus à saisir les objets et j’étais gelée. Je me suis dit que j’avais une bronchite asthmatiforme carabinée. Quand mon mari est entré furieux d'être dérangé au milieu de sa demi-journée de travail, il m’a vue et a changé de figure.

Je rappelle les symptômes au cas où il y aurait un médecin dans la salle : énorme gêne respiratoire ET fièvre violente.

21 juillet 2007

Le pays dans lequel je ne suis pas morte - 3

Il fait froid en Espagne. Si. L’hiver. Très froid. Et comme dans le Sud ils ne sont pas riches, ils ne chauffent pas. Ils sont espagnols, ils sont super-forts : ils n’ont pas froid.

Mais moi je suis française et j’arrivais d’un pays du Golfe. La première année, avant d’être enceinte, je me souviens d’avoir été sous la couette, avec le nez dehors, et de sentir mon nez se glacer et me dire : mais c’est pas vrai, je suis en train de m’enrhumer. L’air froid et humide passait à travers mes narines, descendait dans ma gorge… et je prenais froid. Je me sentais prendre froid.

Autre précision : je suis asthmatique. Un asthme bénin, mais gênant. Mais bon, quand on est asthmatique, on ne s’offusque guère d’une petite gêne respiratoire. Un coup de ventoline et basta.

Dernier point : j’étais épuisée en fin de grossesse. J’amenais mon fils à l’école, je rangeais vaguement la maison, puis je me couchais en pull sous la couette (il caillait) à 11 h30 et je dormais jusqu’à 16 h 30, heure à laquelle le Bon Dieu me faisait émerger en sursaut et transpirante pour me précipiter chercher mon fils à l’école.

Dernier point : le système de santé espagnol. Dans chaque bled il y a des centro de salud, et l’accouchement c’était en ville, dans l’hôpital dont tout le monde m’avait dit qu’il était pourri. Donc on avait choisi un gynécologue privé, très bien, monsieur très comme il faut, et une clinique privée (celle du curetage).

Mais tout ça était à quarante minutes de voiture et à nous frais, alors qu’on n’avait pas beaucoup de sous (la fin du mois à zéro, et dieu sait que je suis économe).

Donc, au quotidien, c’était le centro de salud à cinq minutes à pied et gratuit.

19 juillet 2007

Le pays dans lequel je ne suis pas morte - 2

Ma sauveuse a dit au conducteur que j’étais enceinte et le mec s’est excusé de m’avoir percuté, ce qui m’a toujours surpris vu que je lui ai coupé la route – c’est moi qui n’aurait pas du me trouver là.

Ensuite, la dame m’a emmené à la ville pour faire une échographie (alors que je n’étais pas inquiète du tout). Elle m’a emmené à l’Hôpital militaire en me disant que l’autre avait trop mauvaise réputation, et que par suite de travaux les urgences de l’hôpital normal étaient transférées à l’hôpital militaire.

Nous avons alors eu un deuxième accident de voiture, sans gravité, juste un choc, à faible vitesse, mais bon.

La nana était désespérée ; elle avait voulu m’aider, et voilà qu’elle devenait responsable d’un deuxième accident ; ne perdons pas de vue que le téléphone arabe fonctionnant assez bien en Espagne, toute la boîte a été au courant des deux accidents.

L’échographie a révélée que le bébé allait bien ; le type, à qui je ne demandais rien, m’a dit que c’était un « varoncito », mais bien que le o final ait un caractère masculin, l’information n’a que mollement franchi la barrière de mon esprit ce jour-là.

(En fait, un mois après la naissance, je me suis dit: « tiens, mais varoncito, si ça se trouve, ça veut dire garçon »).

Bon, voilà le début de « comment on ne meurt pas en Espagne ». Un début modeste. Juste des préliminaires.

La suite est mieux.

16 juillet 2007

Le pays dans lequel je ne suis pas morte

Je ne suis pas née en Espagne, mais je n’y suis pas morte – ça crée des liens je suppose.

Tout est lié à ma deuxième grossesse, en Espagne.

D’abord, je suis arrivée dans le pays et j’ai fait un œuf clair, je me suis retrouvé dans une clinique le lendemain de mon arrivée sans parler la langue. (mise en bouche). Le personnel était sympa, je me souviens de l’anesthésiste qui parlait anglais et qui a dit durant le curetage que j’étais « muy nerviosa ».

Puis j’ai été enceinte encore et bon. Il m’est arrivé plein de trucs étranges (dangereux).

Un jour, en novembre, j’ai eu un accident. Voilà comment ça s’est passé. J’amenais le grand à l’école, il me fallait emprunter une large avenue, puis tourner à gauche, mais pour tourner à gauche il fallait d’abord tourner à droite dans une contre-allée, puis couper la grande avenue.

Cette zone débordait de feux rouges : celui de la grande avenue, celui de la contre-allée, et, plus déconcertant, un autre dans la grande avenue, juste après la contre-allée, en somme redondant par rapport au premier feu de la grande avenue. Quand le feu de la grande avenue était vert, celui de la contre-allée était rouge, et vice-versa.

Or, moi, dans l’état de dérèglement hormonal et de fatigue du à la grossesse, un matin, dans la contre-allée, j’ai vu le feu vert, et je suis passée, doucement, car quelque chose, selon moi, clochait. Alors que je coupais l’avenue, j’ai perçu un mouvement sur ma gauche, et j’ai réalisé ce qui clochait : le feu vert que j’avais regardé n’était pas le bon, c’était celui de l’avenue, et juste après j’ai été percuté par une voiture, qui avait ralenti, mais pas assez.

Je suis sortie de la voiture en larmes, catastrophée de ma connerie. Comment avais-je pu faire un truc pareil ? Le conducteur s’est précipité vers moi en me disant des tas de trucs que je ne comprenais pas. Est arrivée, salvatrice, une employée de mon mari qui parlait anglais (et emmenait ses enfants à l’école comme moi). Elle a embarqué mon fils et est revenue pour faire la traduction après.

13 juillet 2007

Ciao

En fait pas ciao tant que ça mais c'est l'effet que ça me fait.
Je vais être occupée par des problèmes administratifs et autres.
Je vais voler dans le ciel.
J'ai écrit un texte sur une mésaventure espagnole. Je vais tester le système du blog pour voir si on peut publier des billets avant de les mettre en ligne. Je suppose que oui. La technique c'est chouette. (mpais ça n'est rien sans l'esprit, hein, notons-le)
Donc je vais étaler la publication du truc.
Un détail : cette histoire finit bien pour tout le monde.

11 juillet 2007

Cartons 2

Cartons.
Les enfants partis, la maison sans dessus dessous, l'angoisse.
L'été est beau mais je ne le vois pas.
Vivement Paris.

07 juillet 2007

Hypocrite?

Je reprends le problème de l’intégration, cher à Libertad, et je le met en relation avec un billet très touchant écrit par Chiboum.(Et je fais même un lien hypertexte, alors que je suis super paresseuse, c’est pour quand les liens en soufflant dessus ?)

J’ai mis un commentaire sur son blog mais je partais trop dans une autre direction, c’était trop axé sur moi donc je vais faire un billet ici.

Je suis arrivé il y a sept ans, pour deux ans, ou peut-être trois. J’avais déjà passé six ans dans deux pays étrangers, donc j’avais ma technique : ne pas essayer de s’intégrer, ça prend trop de temps, et en quelque mois on n’a pas le temps : non, plutôt foncer dans le tas et prendre ce qui vient. Une sorte de spontanéité désordonnée et protéiforme.

J’ai d’abord passé un an dans une petite ville où je me suis mortellement ennuyée. Pas de bibliothèque, pas de cinéma, pas de librairie, et je n’aime pas la plage – de toute façon j’habitais tout près.

Tous les locaux que j’abordais étaient fuyants. Il faudra que je raconte une histoire, précisément, qui m’a beaucoup surpris. J’ai pensé très vite à Route des Indes, et à une caractéristiques des Indiens évoquées par le livre : Les Indiens ne disent jamais non. Ici non plus. Les gens disent oui tout le temps, mais ils ne font pas ce qu’ils disent. Maintenant, à leur façon de dire oui, je sais si le truc va se faire, mais avant je ne « sentais » rien et j’étais souvent déçue. Attention, ce n’est ni de l’hypocrisie ni du mensonge, les gens ne disent pas non pour ne pas froisser leur interlocuteur. Je précise que je suis devenue comme ça. Je n’ai aucune vergogne à dire oui, puis à abandonner en disant « bin finalement non ».

Exemple de dialogue :

- Est-ce que les livres de sixième sont arrivés ?

- Normalement.

- Vous pouvez aller vérifier ?

- Non, ils ne sont pas.

- Alors quand ?

- demain, ‘nch’Allah.

- Vous m’avez dit ça hier.

Mimique d’excuse.

A petite dose, ça passe, mais au bout d’un moment, vous vous mettez à vivre dans un univers flottant, sans règle, sans dates, où les choses peuvent avoir lieu, ou pas, ou les évènements eux-mêmes décident de leur existence, et où vous flottez entre eux avec une désinvolture rêveuse. Ça n’est pas désagréable en soi, si l’on s’y abandonne, mais voilà, je ne m’y abandonne pas. Par moment, je suis en rage. Enfin j’ai mis au point cette année LA stratégie, l’amabilité têtue : c’est courtois, mais têtu. Je fais chier poliment, donc à la fin je suis servie.

Bon, bref.

Au cours de mon séjour, ma situation a évolué et je me suis vue rester dans le pays pour beaucoup plus longtemps (quand l’Ours envoie des CV avec son travail ici, ça casse tout de suite le CV ; depuis qu’il a annoncé aux chasseurs de tête qui l’ont dans leur dossier son nouveau job il reçoit des propositions d’emploi autrement plus intéressantes ; le boulot qu’il a trouvé, c’est la clef de la serrure de la porte de la prison). J’ai donc été plus attentive à ce qui m’entourait, ou attentive dans un esprit différent.

Je suis entourée de nombreux Français, de locaux et d’étrangers.

Sauf quelques personnes qui me détestent farouchement parce que j’ai pris parti dans des histoires les concernant, j’ai la réputation d’être sympa, le genre gentille. Un monsieur du pays a dit à sa femme que j’étais un ange. Pour certains de mes collègues locaux je suis la seule Française pas mariée à un local sympa (ou presque sympa). Ils me parlent dans la langue fleurie du pays, « tu nous connais », « nous avons tellement d’estime l’un pour l’autre ». Ces mots, pour moi, ne veulent rien dire, mais je suis moins critiquée ou regardée comme une étrangère que d’autres (il faut dire que certains collègues « glissent » au milieu des locaux sans les voir, avec un manque de courtoisie hallucinant).

Pour mes collègues français je suis rigolote et sympa, en gros. Certains soulignent mon dynamisme, alors que je ne me sens pas du tout dynamique.

Pour d’autres personnes, j’ai l’image d’une fille sympa. Cette année j’ai pris des distances avec beaucoup de gens, mais toujours courtoisement et beaucoup de gens m’invitent car ils veulent m’avoir une dernière fois. Donc, je ne suis pas trop antipathique.

Cependant, ce qui est évident, c’est que la réaction des gens est finalement liée uniquement à mon attitude, courtoise, donc, et pas à ce que je suis. Lorsque parfois je dis des choses qui montrent que je ne suis pas si courtoise, ou que la courtoisie est une simple façon d’être en société, les gens s’amusent et réagissent en disant : « Ah ! Mais en fait, tu n’es pas si … »

Or, mon objectif n’est pas d’être hypocrite. Je suis courtoise parce que cela facilite les choses, et parce qu’aucune personne de mon entourage ne mérite vraiment ma mauvaise humeur. Je n’ai pas envie de balancer mon ego et mes états d’âmes à la figure des gens.

Mais au final, cela crée un décalage entre ce que je suis et l’image que je donne de moi.

Est-ce que je suis une hypocrite ?

J’estime plus convenable de donner à mes sentiments un vernis policé : dois-je au contraire critiquer, émettre des remarques sincères qui peuvent être blessantes ?

Je trouve que les gens ont un ego énorme, mais gonflé, qui se blesse et s’irrite à la plus petite remarque : il m’a regardé… elle a eu l’air de dire que…. Elle n’a pas à …. Je suis incapable d’accorder la même importance à des remarques, regards ou réactions. La plupart du temps, je m’en moque. Donc, on me prend pour une gentille, ce que je ne suis pas : je critique, je râle, j’ai des antipathies, mais discrètes.

Suis-je hypocrite ?

(Je précise que quand je suis mécontente de quelqu’un, je me débrouille pour le lui dire, clairement et courtoisement, en lui laissant une porte de sortie pour son ego ; mon objectif est que l’on revienne le plus vite possible à des relations efficaces ; j’exprime mon mécontentement, mais c’est tout ; il y a aussi des cas où je ne maîtrise rien, où je suis injuste, rageuse, emportée… Ils sont rares, justement parce que je me contrôle).

Alors, suis-je hypocrite ?

05 juillet 2007

Humilité

Ici, voilà un problème auquel j'ai été confronté, toujours plus ou moins. Le pays est rempli de pauvres, moins qu'ailleurs, mais tout de même. certains, comme Fatma, travaillent en silence. D'autres font preuve d'une humilité obséquieuse, destinée à vous attendrir et à vous arracher de l'argent - ou autre chose. Or, mais je ne dis pas que j'ai raison, des principes probablement bourgeois m'interdisent de respecter celui qui s'humilie devant moi. Cependant, ici, la culture veut que le faible se prosterne en quelque sorte devant le fort. Voilà pourquoi je ne dois boire qu'avec révérence le champagne de Si Mohamed, et voilà pourquoi il est très difficile à inviter : il s'étranglerait avec mon champagne et ne daignerait pas partager mon humble Ugni. Voilà pourquoi je lui trouve une amertume, à ce champagne.
De même, Aicha, l'ex-femme de ménage du collège, vient régulièrement me murmurer que c'est dur, très dur (ce dont je ne doute pas); et quand je craque, et, me sentant, je ne sais pourquoi, salie moi-même, je lui donne un peu d'argent, je déteste sa révérence, son merci, le baiser qu'elle m'envoie, chien battue, la façon dont elle descend les escaliers, lente, comme pour maintenir l'image de sa peine, puis quand elle se croit hors de vue, va raconter sa bonne fortune au portier, et s'en va avec une toute nouvelle agilité; le lendemain c'est le portier qui vient me parler des problèmes de santé de sa fille...
Des interactions très complexes existent entre les gens. On est tous pris dedans. Oui, la femme de ménage, le portier, ont des vies terribles; mais ils ont admirablement compris comment peser sur les autres et les manipuler. Cette compréhension qu'ils attendent de nous, ils ne l'auront pas envers d'autres, ils écraseront le malheureux qui viendra nous voir pour en tirer les mêmes faveurs; ils se débarasseront de lui avec cruauté, sans compassion.
Je ne sais comment me couper de cela, mais je sens la subtilité de ces liens. Je sens aussi le risque qu'ils nous font courir. Ce n'est, assurément, pas la bonne façon d'aider; mais elle est immédiate et pratique pour eux; pour ceux qui ne savent pas résister, ce type de rapport va soit magnifier l'image que les Occidentaux ont d'eux (les pauvres, ils sont malheureux, il faut les aider), soit justifier le mépris qu'ils portent aux locaux (ils ne savent pas y faire, c'est vraiment des arabes). Dans tout les cas de figure, cela ne prédispose aucune des deux parties à un véritable échange, à une véritable communication. cela ne fait qu'entretenir le système. Je suis contre; mais je ne sais pas toujours résister.
Il va de soit que les locaux riches n'ont que mépris envers les pauvres, sauf liens perso, et qu'ils te les envoient balader avec une énergie qui prend aux tripes.
D'où le mérite de Fatma; pas de plainte, elle ne demande rien. Je peux la respecter. Mais maintenant je culpabilise. Je dois faire quelque chose pour elle; mais est-ce que je ne l'insulte pas un peu?
L'argent est vraiment quelque chose de terrible.
En ce moment mes sentiments religieux sont - .... (je crois toujours en Dieu, je ne peux pas dire que je ne crois pas qu'il y a un soleil). Mais cette phrase de la Bible qui dit qu'il est plus difficile à un riche de rentrer au paradis que de passer par le chas d'une aiguille, comme elle est vraie.
Bon, trêve de gémissements; si je veux renoncer à tout, je peux le faire; si je ne le fais pas, c'est que je ne veux pas. Je vais donner des trucs à Fatma, et de l'argent.
Pourquoi je coupe les cheveux en quatre comme ça?
(précision : je ne suis pas riche; mais je ne suis pas pauvre; je suis plus riche ici qu'en France; mais ça va; l'argent est relatif : un exemple : quand j'étais étudiante, je gagnais à peu près 2000 francs par mois; une amie recevait 1500 francs de son père pour ses menues dépenses; le 20 du mois, elle n'avait plus de sous et je lui offrais ses cafés; elle me considérait comme riche; je la considérais comme riche; laquelle avait raison? ).

Fatma

C'est l'été. Ciel bleu, vent (un peu trop fort), soleil, oiseaux.
Ici, l'été est un vrai été. La lumière forte décline vers le soir, on a chaud, puis frais la nuit à cause du vent.
Défaut : pas de soirs d'été. Plus on va vers l'équateur, moins il y a de soirs d'été, c'est dur.
Je vais regretter ma femme de ménage, Fatma. Je m'en veux : j'ai eu tant de problèmes avec les femmes de ménage ici que j'ai été hyper distante avec elle, et justement, elle faisait partie des gens sympas. Juste avant elle, il y avait une femme avec qui j'ai été sympa et qui ne se souvenait jamais des jours où elle devait venir à la maison, ou arrivait quand j'étais partie au boulot et m'appelait pour me dire : "Vous n'êtes pas là?" Elle faisait bien son travail, mais on ne pouvait pas compter sur elle. Après qu'elle ne soit pas venue pendant trois semaines, elle a débarqué un jour pour me dire qu'elle ne pouvait pas venir, mais reviendrait le lendemain; je lui ai juste dit que non, que je ne supportais plus qu'elle vienne de façon si capricieuse et que je préférait ne plus du tout compter sur elle. Je n'ai pas eu de femme de ménage ensuite pendant huit mois. Je me levais à six heures le matin pour nettoyer une pièce. C'était ennuyeux, mais pas plus que de partir en laissant le bordel et en me disant : elle va venir - et de retrouver le bordel. Soit on a une femme de ménage, soit on n'en a pas. En plus, elle me faisait des réflexions sur la façon dont j'avais nettoyé en son absence, genre 'vous ne savez pas nettoyer" et à chaque fois que je lui répondais : c'est justement pour ça que j'ai pris une femme de ménage - elle faisait la tête, sensible au reproche.
Puis est venue Fatma. Je me méfiais, d'ailleurs je ne lui ai jamais laissé de vaisselle, je maintenais à peu près tout en l'état en me disant que si elle ne venait pas j'aurais trois tâches en urgence : la cuisine, la salle de bain, et le rangement des trucs qui traînent. Je les planifiais dans un coin de ma tête pour ne pas me sentir découragée si elle ne venait pas : mais elle est toujours venue. Un confort incroyable. Elle nettoie tout, j'ai senti qu'elle essayait de m'aider et qu'à travers le ménage elle essayait de communiquer avec moi. Est-ce ma froideur antarctique qui l'a rendue sympa ou l'est-elle naturellement? Elle range toutes mes affaires à un certain endroit, elle m'a posé des questions pour savoir comment je voulais qu'on plie le linge, et ensuite elle a fait ce que je lui suggérais - rare ici.
Je communique avec elle, mais sans paroles. Je lui donne des trucs, elle m'en donne aussi, c'est l'une des personnes les plus sympas que j'ai rencontré ici. Mais il est trop tard pour nous laisser aller, trop tard pour lui dire que je l'ai apprécié. La sympathie est venue lentement, presque rugueusement, et maintenant il est trop tard. Je me creuse la cervelle pour savoir ce que je dois faire pour elle. De l'argent? Surement, mais c'est un peu court. Comment faire?

A côté de cela, le portier du collège est venu me voir et m'a rappelé qu'il était mon ami - ah!!!- et qu'il était disposé à récupérer tout ce que je laisserai en partant.

03 juillet 2007

Cartons

Je fais des cartons, ma maison est assez confuse.
Je vide des tiroirs et je jette. Je garde beaucoup quand même.
J'emmène les enfants dans un parc aquatique.
Je réalise que le petit a passé 7 de ses huit années de vie ici.
Et l'autre, 7 de ses 13 années.
J'ai acheté les billets d'avions.
On va dîner chez plein de gens.
J'ai du mal à me concentrer.
Je dois acheter du Lexomil et du Temestat pour l'avion.
Et du produit anti-cafard.