12 juin 2007

Argent

Bien que je sois incapable de me situer politiquement, il y a des trucs (contradictoires au regard des idéologies actuelles) que je sais sur moi.
Ce n'est pas forcément intéressant, moi, mais un élément me paraît important : je déteste dépenser de l'argent.
Au premier regard, ça me donne l'air radin. Mais bien que je le sois un peu, ce n'est pas le problème. Ce que je déteste, c'est juste dépenser pour dépenser (le shopping, par exemple) ou, pire, dépenser pour avoir l'air d'avoir dépenser (ma montre est plus chère que la tienne).
Exemple : je déjeune avec plein de gens, dont un Belge, fort copain de Si Mohamed (chez Si Mohammed, d'ailleurs, toujours princier, champagne, piscine, mais ne rêvez pas, ce n'est Jet-set, ça coince sur tous les détails, chaises en plastoc et meubles comme chez C***t*r*m*, mais bon, je ne regarde que ma coupe de champagne et à l'époque j'aimais bien Si Mohammed). Bref. Le belge a une belle montre. Je lui dis : "Oh, tu as une belle montre!"Et il me répond (ça n'était pas écrit dessus) : "6000 euros", ce qui m'a coupé la voix, non par par le prix, mais ce type de réponse me laisse dramatiquement sans voix. Comme je suis nulle dans le débat idéologique, je lui ai dit que je n'admirais pas le prix, mais le design (et je serai capable de m'acheter une montre comme ça, sur plusieurs années parce que je ne suis pas siriche, si toutefois je ne craignais pas avant tout de la perdre, car je perds tout). Il s'est lancé dans un discours de base sur le thème de quand on veut de la qualité il faut payer, j'ai essayé de lui faire remarquer que ce n'était pas obligatoire, que la société pouvait être conçue différemment, mais il n' a rien écouté. Je déteste les débats avec des idiots et j'ai fait mmm-mmm ensuite. Je n'ai qu'à être cohérente et ne pas fréquenter ce genre de gens (mais j'adore trop le champagne, et ça se boit si bien en société, autour d'une piscine, entouré de bougainvilliers et de lauriers-roses, de préférence avec des serveurs stylés en gants blancs - il n'y avait pas de serveurs ce jour-là, et je ne vois plus ces gens, malgré mon goût pour le champagne, ils ne m'invitent plus, facile de deviner pourquoi : au milieu d'eux, je deviens, sans changer, une dangereuse gauchiste).
Bref. Dépenser de l'argent. Acheter un frigo; puis un autre, plus grand. Puis une chaîne HIFI? Puis un MP3, puis un MP4, changer le frigo, acheter une nouvelle machine à laver parce que l'ancienne fuit, un lecteur CD qu'on branche sur la télé, une télé plus grande parce que l'image est mieux, un écran plus parce que l’image n’est pas déformée, il ne faudrait surtout pas que les images du JT nous parviennent altérés sur les côtés… Voilà notre vie. Que nous le voulions ou pas, nous nous situons confusément dans cette logique. Un écran plat c’est quand même mieux – même moi je l’ai concédé sans réfléchir à mon mari, et tant qu’à faire c’est quand même mieux, mais mieux que quoi ? Qu’un écran pas plat ? Et alors ?

Présenté comme ça, cela semble dérisoire. Est-il possible que 2000 ans de civilisation judéo-chrétienne aient produit cela ? Que les descendants de ceux qui luttaient pour que le bonheur soit une idée neuve en Europe se soient transformés en consommateurs avides ?

La société de consommation nous rend fou. Je l’ai constaté ici, parce qu’il n’ya pas grand-chose à consommer ; il y a d’autres défauts. Les Ifriqiyiens se jettent d’ailleurs sur tous les petits morceaux de société de consommation avec une inquiétante avidité.

C’est délirant. On mange trop, on s’évite tous les efforts de déplacements, on grossit, on meurt de maladies évitées avec plus de faim et d’efforts. Mais on ne songe même pas à s’interdire de manger, ou alors cela devient maladifs ; il y a tant à manger que le refus de nourriture est maladifs. Dites donc à vos copines mères de famille que votre enfant saute un repas et qu’il n’en mourra pas ; elles blêmiront. (je ne blague pas ; je l’ai déjà fait ; mes enfants sautaient souvent des repas, quand ils mangeaient mal je leur disais que je n’allais pas leur préparer un repas pour rien ; heureusement que je ne suis pas en France, j’aurais eu les services sociaux sur le dos).

Finalement, dans notre société, il faut manger et acheter des appareils.

Ce qui est bien, c’est de regarder Qui a peur de Virginia Woolf, et même sur un écran déformé, c’est mieux que TF1 sur un écran plat.

Le message se pervertit au profit de l’emballage, si je puis dire. On mange de la merde, mais dans des boîtes bariolées. On regarde de la merde, mais sur un appareil super perfectionné..

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Il devrait exister des boutiques pour riches, ou pour des gens comme ton Belge, qui aiment exhiber ce qu'ils dépensent (symbole de ce qu'ils gagnent —car ils sont ce qu'ils gagnent ou plutôt ce qu'ils dépensent, c'est assez triste), des boutiques, donc, où il y aurait des saisons de soldes inverses :

"Jusqu'au 15 juin !! : 10% d'augmentation sur tous nos articles ; 20% d'augmentation sur une sélection de nos articles les plus chers, seulement jusqu'à la fin d'existences" (comme on dit en espagnol très souvent lors des soldes : ça fait référence aux articles vendus, mais c'est vrai que si on arrête d'exister, c'est fini les soldes, aussi).

Ces gens-là n'auraient guère apprecié mon voyage à Marathon et à Paris : je me suis logé dans des hôtels I*is (je sais, il y a moins cher : par exemple, j'enviais un peu le Belge -tiens, un autre- avec qui j'ai causé un bon moment au retour de Marathon et qui m'a dit en descendant du car qu'il était à l'auberge de jeunesse, tout près, tandis que je devais encore prendre un taxi pour me rendre à mon I*is). Très loin de ton Belge de la montre ¿aux diamants? et tous ces gens, je suis encore tout fier que le vol aller-retour M*drid-Paris ne m'ait coûté que 68,50€ (tout compris)... Non, ils m'auraient méprisé pour mon séjour à Ta Ville, où le plus Cher a été les rencontres avec ces deux personnes extraordinaires avec qui j'avais rendez-vous et qui m'ont donné leur temps et leur amitié comme ça, gratuitement, généreusement, juste pour parler, pour partager des idées, des rêves, des . Est-ce qu'on n'aime plus ce genre de choses, tu crois, au sein de cette société fruit de 2000 ans de civilisation judéo-chrétienne, comme tu dis ? Ou bien je suis trop naïf, alors.

antagonisme a dit…

Alors, peut-être que je devrais plus rester dedans ma société judéo-chrétienne? Ici, on aime terriblement montrer... C'est fatigant.
Mais ce que je veux dire c'est que l'on est inconsciemment habité par le désir ou la curiosité ou le besoin de consommer, en raison du bombardement de pub. Je l'ai compris dans le pays où j'habite, où il est tellement acrobatique de se procurer les derniers trucs à la mode que je les oublie, parce que je ne suis pas très accro, certes, mais je les oublie alors qu'en France je prends conscoence des choses (télé écrans larges, etc;;;).
La montre de mon Belge, sans diamant, était très jolie, esthétiquement. D'où ma remarque. Elle n'avait pas l'air d'un truc cher, mais d'un truc beau.

Anonyme a dit…

Tu critiques avec beaucoup de justesse le côté vain de la société de consommation, particulièrement de nos jours où tout évolue très vite. Et le côté m'as-tu-vu de ton Belge est tout simplement débile (je trouve). Dépenser pour dépenser, dépense pour le montrer, c'est vide de sens.
C'est mieux de regarder des choses intelligentes sur une télé à écran bombé (que des bêtises sur un écran plat), c'est une jolie image et tu as bien raison.

Anonyme a dit…

Je suis parisienne et vous ne me connaissez pas. Une autre fois, j'oserai peut-être composer un éloge de votre plume et m'épancher sur l'intérêt que m'inspire votre personne. Aspirée par la lecture de votre blog, je tombai sur votre article - A l'extérieur du jardin d'Eden - où vous sembler regretter le libre-arbitre que Dieu laisse aux hommes. Je me permets juste de remarquer que le libre-arbitre ne signifie pas encore liberté, qui, elle, se conquiert (je plagie un peu Descartes) Il m'apparut que vous vous débrouillez très bien sur ce terrain.
Surtout, cet article me fit penser à des pages géniales de Dostoievski, in Frères Karamazov, ou Ivan nous sort son mythe du Grand Inquisiteur qui sut débarrasser les hommes de ce fardeau qu'est la liberté. Si vous ne l'avez pas lu, je me permets de vous le recommander (c'est quelque part vers le premier tiers, ie la page 300). Je suppose cependant que mes paroles vous feront sourire, car vous paraissez avoir en vous (et non pas à l'extérieur de vous, tel un "bagage rentable" comme tant d'autres) une culture littéraire considérable.
Vous êtes intriguante et extrêmement fine. J'ai rarement rencontré un jugement aussi exercé.
Tout en vous remerciant pour les moments que j'ai passés avec vos textes.

DF

Anonyme a dit…

Toujours la meme finesse dans le jugement, la meme ironie face a laquelle je ne peux que hocher de la tete et me sentir partie prenante de ce que vous ecrivez.

Ce dont vous parlez est tellement vrai ici en Inde, aussi, ou se montrer est quasimment le passe-temps favori d'une bonne partie des indiens, en particulier les habitants des villes. Autant les pauvres que les riches.

Et je ne peux qu'etre d'accord avec ce que dit DF, c'est etonnant comme on se laisse prendre dans vos textes comme dans le roman d'un grand ecrivain. Il y a la meme force, la meme universalite. Je n'ai pas votre vie, je ne suis pas dans le meme pays, et pourtant tout ce que vous ecrivez me semble juste, important, et votre maniere de le dire me semble la seule valable, la meilleure lorsque je vous lis.

Merci encore.