10 avril 2007

Rien de nouveau sous le soleil

Dans L'homme qui voulut être roi, Rudyard Kipling évoque des aventuriers européens qui, loin de leurs pays, tentent de se tailler des royaumes, ou plus classiquement, se taillent des situations enviables auprès de potentats locaux du bout du monde (l'autre extrémité du monde étant, dans mon discours, située en Europe puisque je suis européenne). Certains se fondent dans les sociétés locales, d'autres restent en contact, plus ou moins auréolés de prestiges, avec les puissances coloniales.
Quoiqu'il en soit, dans ces oeuvres, on distingue fort bien le monde européen et les univers extra-européens, décrits comme étranges par l'observateur, puisque le dit observateur vient d'Europe et s'adresse à des Européens. Le monde européen est régi par des lois et des codes qu'il n'est pas besoin d'expliquer au lecteur européen (si les soldats s'arrêtent de travailler à cinq heures pour prendre le thé, le traducteur ne met pas de note de bas de page), alors que les lois qui régissent les mondes extra-européens sont imperméables au lecteur, et que nous ne les comprenons pas bien : nous sommes, lecteurs, placés devant un univers fascinant et mystérieux, un peu effrayant parfois, cruel souvent.
Il semble que les choses aient évolué. Dans des endroits très reculés du monde, il y a l'eau courante et l'électricité. Les enfants vont à l'école. On trouve des cyber-cafés. Belles preuves de modernité, n'est-ce pas?
Avant de poursuivre mon raisonnement, je vais être plus concrète. Suite au fameux rallye sur lequel j'ai rejoint l'Ours (comme prévu, il y avait plein de voitures - le seul truc que j'ai appris c'est que les participants ont un road map qui se déroule devant eux au fur et à mesure que les kilomètres défilent, système mécanique et non pas numérique), nous sommes allés au Jardin d'Eden (nombreux vents de sables du reste) et avons été invités par plusieurs personnes, ce qui nous a permis de rentrer un peu dans la vie locale (côté français).
Au Jardin d'Eden, règne au moins un potentat local (il y en a peut-être d'autres, mais je n'ai pas approfondi mes investigations). Appelons-le Si Ali. Il possède un hôtel, trois parcs d'attractions, et il a ouvert un autre hôtel dans un ville touristique du sud très pauvre en hôtel ou en infrastructures hôtelières (restaurant,etc) - plus tout ce que je ne sais pas. Il a deux fils, peu qualifiés, mais fils de Si Ali. Samedi soir, Le fils de Si Ali nous a réservé une chambre d'hôtel dans un trois étoiles du coin (quatre lits de planches dans une pièce sans fenêtre, genre troglodyte, et un restaurant cantine éclairé au néon qui a stupéfié mes enfants, petits snobs connaisseurs en hôtel dont le plus petit m'a dit ironiquement sur un ton de vieille anglaise des années trente débarquant dans un relais grec pourri: "Eh bien! je comprends pourquoi c'est un trois étoiles" - l'année dernière, pendant les vacances d'été, ils avaient bien apprécié le restaurant de l'Abbaye des Vaux de Cernay...). Le directeur était aux petits soins pour nous, et quand nous sommes partis de son bouge infâme, il a tenu à nous inviter dans son bureau (surchauffé alors qu'il faisait très frais de hors, voire froid - sur le porte de son bureau la plaque indiquait "Le Directeur", mot qu'ils adorent ici, un Directeur sans carte de visite, sans téléphone, naturellement sans ordinateur...) et a bien répété cinq fois à mon mari que nous devions saluer de sa part le fils de Si Ali, avec lequel il semble plus que désireux de travailler, car, naturellement, Si Ali fait trembler toute la population locale.
Nous avons ensuite été invité chez un Français, depuis très longtemps sur place, lié à un homme qui a très bien réussi localement, mais que je soupçonne d'être un parvenu. Il est lié à cet homme par mariage avec sa soeur, mariage étrange, que je connais par relation avec une amie commune. Rien ne va plus avec sa femme mais il reste sur place car il y a sa vie. Il habite une immense maison, nous en a prêtée une autre (en travaux), il dirige un centre de loisir qui marche très bien, propriété de Si Ali. Voilà un Français, au demeurant charmant, qui a réussi dans le sillage du potentat local. Sa vie est remplie d'anecdotes exotiques dans le genre de celles qu'on ne vit jamais à Bécon-Les-Bruyère. Il a dernièrement acheté une jeep de la deuxième guerre mondiale retrouvé dans le désert, comme beaucoup d'autres apparemment, en parfait état de conservation.
Puis nous sommes allés chez d'autres Français, des retraités qui se sont installés là et qui nous disent le pays comme des estringers, pas des adaptés. Leur discours est différent, plein de surprises : les femmes des maris locaux qu'on ne voit jamais, les hommes de 50 ans qui se marient avec des filles de 20.
Un anecdote intéressante : nous avons rencontré une française, journaliste, mariée depuis cinq ans à un Ifriqyien. Elle a vendu son appartement dans le 13ème pour lui, elle le croyait propriétaire d'une boutique, il n'était que vendeur, elle lui a cheté une boutique, elle a acheté une maison, mais le type qui lui a vendu le terrain et construit la maison n'en était pas propriétaire, résultat elle n'est en fait propriétaire de rien. Son mari touche 35% de ce que l'autre gagne en construisant la maison, puis en la réparant car elle est mal construite. Elle lui a intenté un procès qu'elle a gagné mais il est insolvable, elle ne récupérera jamais son bien. Elle ne veut pas admettre que son mari l'a arnaqué, elle ne veut pas voir que certains hommes épousent des françaises pour les plumer, ou pour les papiers...
Je reviens à mon hypothèse de départ : parce que, au Jardin d'Eden, il y a l'électricité, l'eau courante, des bâtiments administratifs, des internet café, nous croyons que la modernité est parvenue jusque là, mais seules ses formes extérieures sont parvenues, en fait, dans la vie et dans la tête des gens, rien n'est changé par rapport à il y a un siècle. On est dans L'homme qui voulut être roi. Pour réussir, il faut ménager les potentats du coin.
Adapté à notre petite vie : l'Ours et moi ne sommes pas des aventuriers. Nous ne nous imposons pas dans un monde suavage. Il nous faut des lois, et tout l'arsenal légilslatifs de l'Europe de l'Ouest, qui, quoiqu'on en dise, protège les faibles du pouvoirs que les forts tendent à prendre sur eux.
Ici, pour tous, c'est fight for life. Chacun pour soi et Dieu pour tous. Le continent est dans la merde et il faut se battre. Nous ne sommes pas des battants, voilà pourquoi on s'en va...
(Désloée de parler toujours de moi mais je me demande toujours pourquoi je suis si incapable de m'adapter).

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