11 janvier 2007

Tolérance 2

Je l'ai déjà dit, la tolérance, c'est pas ce qu'on croit. On croit que c'est facile.
Analysons.
Soit, soi. Facile. On se connaît. Même si on ne s'aime pas, on s'est habitué.
En face, l'autre.
Précisons qu'il y a autre et autre. Il y a les autres un peu autre, mais pas vraiment. Celui qui n'a pas de torchon dans sa cuisine, pas de beurre dans son frigo, mais qui nous ressemble. Déjà, celui-là, il nous agace parfois.
Mais il y a des vrais autres, des autres brevetés, professionnels.
Ces autres, peu nombreux, sont exotiques. De leur pratique peut naître en nous de la tolérance. Ma copine vietnamienne ne faisait jamais vraiment le ménage chez elle, sauf dans les parties, disons, extérieure, de son appart (le ménage sans bouger les meubles) - je ne m'en suis même (c'est tout dire) jamais rendue compte avant de vivre ici. Je m'en foutais. J'allais pas la voir pour le ménage. Retrospectivement, je dirais que personne de ma connaissance n'avait un appart aussi monstrueusement sale (poussière humide enkystée un peu partout).
Ici, les femmes lavent tout le temps, à coup de seau d'eau, et la crasse, je la vois.
Ici les autres sont partout. Normal : ils sont chez eux. Nous aussi, on est chez eux. On peut rien dire. On critique pas quand on est invité.
Observons ces autres, ceux que je me dois d'apprendre à tolérer (il y a urgence, car c'est moi l'étrangère).
Pourquoi cela m'est-il si difficile?
C'est ça la question. D'où provient ma résistance interne à la tolérance? Si tout le monde était comme moi, le monde serait d'un ennui incommensurable.
Ces autres ne me ressemblent en rien et ne ressemblent à rien qui me soit connu.
Chez eux j'ai du apprendre à me comporter autrement. J'ai beaucoup appris. D'abord, j'ai été poli comme ma maman elle m'avait dit. Mais ça, à Dubai déjà j'avais vu que ce n'était pas le bon plan. La première fois que je suis allée à l'hôpital, je suis restée à la distance sociale européenne en vigueur de la femme qui se trouvait devant moi, soit environ 60 cm. La femme s'expliquait en arabe ou en urdu avec l'employée, aimable comme une porte de prison. Sont survenues d'autres femmes et elles se sont mises autour de nous, un peu n'importe comment, puis elles ont bougés imperceptiblement et soudain il y avait trois nanas devant moi. Hop. Je m'étais fait passé devant comme une bleue. Bon. J'ai essayé de protester mais le volume sonore de ma voix et le volume d'espace que je déplaçais en bougeant ne pouvait pas lutter contre toutes ces vénérables matrones, qui d'ailleurs n'avaient même pas l'air de me voir. Engoncée dans mon idiote politesse hypocrite européenne, je n'étais même pas capable de faire un esclandre, mais un esclandre à l'arabe, si je puis dire, c'est-à-dire à la juive, aie aieaie,beaucoup de bruit pour rien, on crie on s'agite on s'arrache les cheveux et puis plus rien. Le hurlement hystérique comme mode de communication, je pratique peu.
Bon. Alors après j'ai appris. D'abord on ne sourit pas à l'hôpital, on prend l'air mordant (pour moi c'est dur; l'air ahuri ou absent à la rigueur mais l'air mordant il faut que je me concentre). On fait sentir que si on te pique la place, tu mords. Après, il faut adhérer à la personne qui te précède. Il n'y a qu'en occident que les gens s'écarte les uns des autres. Ici on se colle. Tu adhères à ta voisine, c'est normal. Voire, pendant qu'elle discute avec l'hôtesse, tu glisse ta carte de sécu sous le nez de l'hôtesse. Tu sens qu'elle dit au revoir? Tu pèses légèrement sur elle, genre casse-toi...Mais aimablement. Pas agressivement.
Ici c''est pareil. Tu rentres dans le club video et il y a six personnes devant toi. Tu commences à attendre et trois autres personnes arrivent, elles connaissent des gens qui attendent, elles se saluent toutes et se disent bonjour, chnaj walek? ana labes wa anti, ana labes alhamdullillah, tout le magasin se connait sauf toi. Tu attends? tu ne suis plus trop bien l'ordre des arrivées mais au bout de vingt minutes tu es certain qu'au moins quatre personnes surgies plus ou moins de nulle part t'ont passé devant. ça le fait pas. Tu te sens énervé (e). C'est parce que tu es français qu'ils te font ça? Tu payes la politique intérieure de Sarko? parce que c'est peut-être facile, ici, d'avoir la carte de séjour, hein? SI tu t'énerves, tu es mort. Tu vexes tout le monde. Surtout si tu fais remarquer que c'est le bordel. Tu n'auras jamais tes disques, ils buggeront tous et tu te grilles avec le mec du magasin, il va tout te faire de travers.
Beut ze solucheun iz so izi. zis pipol are NOT laik iou. L'ordre, elles s'en foutent. Enfin non, elles aiment bien, mais elles peuvent s'assoir dessus.
On le refait. Deux méthodes.
Méthode 1 : Tu entres. Il y a six personnes avant toi. D'autres vont arriver. Il faut agir.Tu fais ton importante : soupir, tu enlèves tes lunettes de soleil, tu secoues tes cheveux, tu agites tes clefs et tu fais la gueule. Tu tripotes ton portable, aussi, il faut faire des trucs avec le portable, mais d'un air important. Tu fonces dans le tas des six personnes. Tu les bouscules, pas brutalement, mais doucement. Tu demandes au type s'il a Casino royale, alors qu'il est en train de parler avec quelqu'un d'autre (c'est horriblement impoli, hein? mais tu le fais quand même), le type te répond pas, évidemment, mais tu attends et il finira par te répondre, au besoin tu insistes.
C'est pas parce que tu fais ta française que tu fais ça. C'est parce que tu fais ta locale. Le problème, c'est qu'après, ça te reste (le même comportement dans une boucherie à Levallois-Perret... imagine la gueule des mamies...).
Donc moi j'ai une autre attitude, pénible aussi mais plus facile à caser en France.
Méthode 2 : Tu rentres. Il y a six personnes devant toi. D'autres vont arriver. Il faut agir. Tu fais ton idiote. Tu fonces dans le tas et tu t'excuses très fort mais tu cherches le catalogue des DIVX enfants. Il est où, monsieur, je l'ai vu la dernière fois, wallah jtejure. Tout le monde te regarde. Deux types se mettent à chercher le catalogue des DIVX enfants et te le donnent. Tu farfouilles. Et celui des DVD classic (sic)? Heu, excusez moi, hein. Des types te passent le catalogue des DVD classic. Tu interromps une conversation pour dire, heu, samnch'ni, vous z'auriez pas un bic et un papier pour que je note les titres, hein? deux clients te filent un papier et un crayon. Tu notes des titres. Au bout d'un moment tu demandes à un vendeur. heu, monsieur, vous zavez pas sueurs froides? Peu importe la réponse. Là, tout le monde a compris que tu étais sympa, mais chiante. Quand tu as fait ta liste tu la donnes à un petit jeune. Et tu reviens chercher tes films le lendemain.
ça c'est la méthode la glue. Très efficace. Même en France, où ça fait mal élevé, sauf quand je suis en forme et que je souris, mais ça reste efficace.
Comme on voit, je m'adapte. Je n'attends plus dans les magasins. J'ai réduit mes distances sociales. C'est pour ça qu'en France, je trouve tous les Français coincés.
Quel rapport avec la tolérance? Le rapport, c'est qu' au début c'était odieux. Je trouvais les locaux insupportables, incorrects, mal élevés. Maintenant je baigne dans le truc. J'interpelle les gens. Parfois, je suis dans des endroits modernes, et je veux faire pareil : et c'est moi la Française qui me tient mal! Tout le monde me regarde avec réprobation. Ils savent tous que les Français sont polis et ne passent pas avant leur tour. Il faut donc fonctionner sur deux modes : le mode traditionnel, et le mode moderne.
Le problème, c'est l'intervalle entre les deux modes de comportement. Il m'a fallu quatre ans pour me lancer et oser passer devant des gens ou interrompre une conversation. Toute une éducation (j'ai été élevée par des gens très polis). Durant cet intervalle, je me suis très souvent senti agressée par les comportements que j'ai fait miens maintenant. Je n'avais pas de référence pour ce que j'appelais une telle impolitesse nationale. Réagir par l'agressivité n'est pas productif sur le long terme, mais je ne savais pas comment régir et j'accumulais de l'exaspération.
Après, quand on raconte cela, voilà ce que cela peut donner :
"de toute façon c'est pas la peine de prendre des gants avec eux. Ils s'en foutent. Ici faut s'imposer sinon tu te fais bouffer. Ils ne sont pas comme nous. Ils se boufferaient entre eux, c'est pareil. Ils ne respectent rien. "
Ces trois dernières lignes n'ont elles pas quelques déplaisants relents? Pourtant c'est la même histoire que la précédente.

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