05 octobre 2007

Erreur de manipulation

A la suite d'une erreur de manipulation j'ai effacé un commentaire de Sophie et ma réponse. Quelle nouille. Je ne peux pas les retrouver, mais je vais essayer de reformuler ma réponse.
Vous êtes européen. Vous vous intéressez aux autres civilisations. Vous êtes une âme sensible. Les malheureux à travers le monde vous touchent. Vous trouvez que c'est affreux. Vous avez de bons sentiments et vous êtes contents de vos bons sentiments.
Vous allez dans un PVD. Dans le monde arabe, par exemple, comme moi. Ou ailleurs. Vous cotoyez des locaux riches, vous bossez avec ou pour eux, en dirigeant des locaux pauvres. Leur pauvreté n'a rien à voir avec elle que vous connaissez. Ils vivent dans des maisons qui sont des cubes de béton sans eau chaude, parfois sans électricité. Leurs enfants vont à l'école à cause du "salaire" que votre entreprise leur verse, si on peut appeler ça un salaire. Ils ne sont pas très dégourdis, pas très travailleurs, pas très honnêtes. Même si vous les comprenez, vous avez du mal avec certaines odeurs, et puis tout mettre sous clefs, ce n'est pas dans vos habitudes, même après la disparition de votre appareil photo, qui vaut un mois, ou un an, de leur salaire(ça dépend de la qualité de votre appareil photo). Les gens qui ne viennent pas au boulot sans prévenir, qui baclent le travail et font perdre une semaine, c'est dur aussi à supporter parce que vous êtes là pour faire tourner le truc, vous, et même si vous avez le de lapeine pour eux, si vous perdrez le job c'est vous qui êtes dans la merde, après, chez vous ou ici. Vous auriez du faire de l'aide humanitaire, peut-être, mais là, c'est trop tard, vous êtes là, vous avez une famille, et faut que la boîte tourne.
Parmi les locaux, certains vous comprennent très bien, et n'ont pas assez de mots méprisants pour qualifier leurs concitoyens : ce sont les riches. Vous êtes mal à l'aise quand ils parlent de leurs employés. Vous avez le respect de l'autre, vous, même et surtout s'il est pauvre et démuni. Les locaux envoient leurs enfants dans des écoles plus chères que celles où vous mettez les votres. Leurs enfants ont la PS1, la PSP 2, la PSP, un lecteur MP3, un lecteur MP4, un Ipod, un téléphone portable de l'année dernière, et celui de cette année, des fringues de marques comme si elles sortaient par magie de l'armoire. Votre fils se sent pauvre à côté : pas facile d'expliquer à votre belle-mère que non, il n'a pas dit merci pour le DVD offert à son anniversaire parce que, euh, maintenant, pour lui, un (1) DVD ce n'est rien. Vous expliquez à votre fils que, primo, vous n'êtes pas millionnaire comme les parents d'Ahmed ou de Flora, et de toute façon le luxe c'est honteux sans la culture. Votre fils s'en moque. Il veut quand même la PSP (ou l'Ipod).
Les locaux vous invitent à des fêtes. Vous buvez du champagne au bord des piscines. Vous commencez à aimer ça. Que nous sommes loin des frites-poulet du resto U (le menu premier prix, avec un yaourt et une pomme). Leurs maisons sont moches, mais on voit que ça a coûté cher. Vous méprisez. Quand vous invitez les locaux chez vous, vos maisons sont belles, avec des meubles esthétiquement pensés, mais on voit que ça n'a pas coûté cher. Ils méprisent aussi.
Vous aimez votre femme de ménage. Elle est bien. Mais un jour elle part, et ne revient pas, avec une paire de lunettes qui vous appartenait. La suivante vient une fois sur trois, et casse un truc par jour. Vous la virez. Vous expliquez à une copine en France que c'est impossible de trouver une femme de ménage et elle vous dit "Te plains pas, tu as une femme de méange!". Vous essauyez de savoir si l'intonation dans sa voix c'était du venin, ou la fatigue, ou un effet d'écho dans le téléphone. Vous ne parlez plus de femme de ménage. La suivante a besoin d'argent parce que son fils est en prison. C'est triste, et en plus son mari la bat. A ce stade, vous commencez à penser avec irritation qu'elle aurait pu mieux choisir son mari, mieux gérer son couple et éduquer ses gosses, m.... Vous culpabilisez. la pauvre. Avec la vie qu'elle a. Vous lui donnez de l'argent, mais la semaine suivante rebelote (sa fille à l'hôpital). Combien a-t-elle d'enfants? Vous dites que non, mais ça fait radin. Vous avez vu sa maison. Vous vous sentez nulle. Vous prenez une autre femme de ménage et vous êtes très désagréable avec elle dès le début. Après, vous reprensez à ce que vous disait Najiba sur sa femme de ménage quand vous êtes arrivée : vous la trouviez odieuse? Maintenant, l'odieuse, c'est vous.
Le joli coeur de la classe, Mohamed, a le dernier Ipod machin truc avec toutes les options comme il faut et votre fils revient à la maison en disant que, de toute façon ,comme la richesse n'est rien sans la culture, et que les petits Africians meurent de faim et pas nous, il va continuer d'écouter sa musique sur le lecteur cd du jurassique que vous lui avez fourgué. Oui, affrimez-vous avec fermeté. On est pauvre, lui criez-vous. Je sais, dit-il avec froideur. Vous ne vous sentez pas super nette. Pauvre, avez-vous dit : manque de décence si l'on pense à la femme de ménage.


J'arrête parce que je n'ai plus le temps.
La solution, au moins provisoire, à tout cela, ou du moins ma solution, c'est de partir.
Ma question, à propos de Sophie, c'est : est-ce la même chose en Amérique du Sud en général et au Chili en particulier? La réponse m'intéresse pour mon avenir. Je pourrais bien m'y retrouver un jour.
Les échos que j'ai sur le Brésil sont similaires à ce que je décris.

Ce matin j'étais plus philosophico-poétique, je trouve.
Je vais dire la même chose autrement. Est-ce qu'un Européen de notre genre, éduqué à une bienveillance paternaliste envers les malheureux du monde qui ne sont souvent pour lui qu'une abstraction, peut vivre agréablement dans un PVD avec comme le disait Sophie dans son commentaire, des différences sociales marquées, c'est-à-dire écartelés entre les riches, vers lesquels il est mécaniquement rejetés, par l'école où il met ses enfants, les restaurants où il dine, les magasins dans lesquels il fait ses courses, et les pauvres, tellement pauvres et n'ayant pas grand chose à perdre, et de plus peu éduqués, donc potentiellement dangereux, malheureux, malhonnête (dans notre logique occidentale - c'est-à-dire qu'est-ce que le vol quand on n'a pas grand chose? un transfert de richesse, c'est tout. Une petite parcelle de richesse prise à celui qui en a tant), soumis à des gouvernements tyranniques et injustes et donc peu sensibles à la notion de justice, de correction, d'honnêteté, toutes valeurs qui ne peuvent exister véritablement que dans un système organisé et structuré?
Je ne sais pas si je me fais bien comprendre sur ce point. Si, dans votre quotidien, vous savez que vos droits seront bafoués régulièrement : on va prendre votre place dans la queue parce qu'on connait le chef de bureau; le gouvernement a saisi le compte de la boîte pour laquelle vous avez travaillé depuis trois ans et tout le monde sait bien qu'il ne rendra pas l'argent; le médecin ne soigne pas votre fils parce qu'il s'occupe d'un client riche. Pourquoi, le jour où votre chef laisse trainer son portefeuille, ne le lui prendrez-vous pas? Votre vie, c'est vous qui vous la faites, et dans le système, tout le monde est contre vous. En fait, la vie dans les PVD, c'est Battle Royal, avec de temps un temps une personne bonne qui réussit à se maintenir contre le courant, et le soutien de la famille, l'unité élémentaire.
J'exagère? je ne crois pas.
Une bonne nouvelle, au fait, dans la série, tirons-nous d'ici, enfin de là-bas : Sana a réussi à obtenir un visa pour un boulot ou un stage rémunéré dans sa branche, sur un sujet qui la concerne exactement, super. Du coup j'ai peur pour elle, si ces papiers ne sont pas pile en règle, si elle doit passer par la France, avec ce qui s'y passe en ce moment (elle ne va pas en France, mais dans un pays voisin, mais des gens ont été arrêtés parce qu'ils n'avaient pas leurs papiers alors qu'ils n'allaient pas en France, mais passaient par le territoire : faire du chiffre, si j'ai bien compris).

8 commentaires:

antagonisme a dit…

Mystères de la technique. Le commentaire disparu tout à l'heure est revenu. Il n'y a qu'à moi que ça arrive. Après, quand je raconte ça aux gens ou à l'Ours, tout le monde pouffe discrètement et l'Ours dit à Fils Aîné : "N'écoute pas ta mère quand elle est comme ça...". Il m'est déjéà arrivé de prendre des gens à témoin : tu es d'accord avec moi, le cahier de texte de la classe n'est pas dans l'étagère aux cahiers de textes, hein? Je sors, je reviens et LE CAHIER DE TEXTE EST REVENU ENTRE TEMPS SANS QUE J'AIE VU PERSONNE ENTRER.SI.

Anonyme a dit…

J'adore tes erreurs de manipulation, comme ça on a droit au premier brouillon et au développement de tes idées... ! D'ailleurs on dirait que ce billet est une récapitulation, une sorte de dans le chapitre (ou plutôt dans le pays) précédent...

En ce qui concerne une de tes questions, le Brésil me semble un pays beaucoup plus PVD, pour ainsi dire, que le Chili qui s'apparente à mon avis plutôt à l'Argentine, que de toute façon je connais un peu plus que les deux autres (sa culture, ses gens, son histoire, j'y suis même allé une fois). Mais même si le Chili, comme l'Argentine, a subi le drame de la dictature militaire et des disparitions, j'ai l'impression qu'en fin de compte l'Argentine s'en est mieux sortie, malgré la très dure crise économique qui l'a frappée en 2001 et qui a creusé des différences sociales qui n'étaient pas aussi marquées (ou qui n'existaient pas carrément) auparavant. Si la dictature de Pinochet au Chili a été plus terrible que celle de la Junte militaire en Argentine, c'est parce que, à part tous les morts et disparus, il y a eu aussi les Chicago Boys, qui ont appliqué de façon draconienne, sous le régime militaire de Pinochet, les idées de Milton Friedman : et ça a été en fin de compte une catastrophe pour le pays, pour son économie (peut-être pas pour l'économie des riches et des grandes entreprises, qui sont devenus beaucoup plus riches, bien sûr), pour sa démocratie (les chiliens ont encore beaucoup de mal à se débarrasser de l'héritage de Pinochet) et pour sa culture. Le 11 septembre 1973, le jour du renversement de Salvador Allende par les militaires, a été une des journées les plus noires de l'histoire mondiale récente, beaucoup plus noire probablement que le 11 septembre de 28 ans plus tard.

Le Brésil me semble très différent, il a des phénomènes propres à lui comme les favelas ou les enfants de la rue (j'aime beaucoup le blog du journaliste Hernán Zin, qui en avait parlé en février).

Sinon, chaque pays d'Amérique Latine me paraît un monde, du Mexique au Paraguay en passant par l'Équateur, la Colombie, le Vénézuela, le Paraguay... J'ai l'impression que même s'ils ont des problèmes communs, il y en a plein d'autres très particuliers (le pétrole, les mafias de la drogue, le populisme, les indigènes...)

antagonisme a dit…

Tout à fait, c'est pour ça que ça m'intéresse. J'espère pouvoir deviner entre les lignes de ce qu'écrira Sophie ce qu'il en est. Peut-être le Chili est-il si avancé sur la voie du développement que ces "différences sociales" seront à peine plus marquées qu'en Europe parce qu'une classe moyenne existera. Ou pas. Ou alors, il y aura peut-être ce phénomène, mais cela sera gérable, pour je ne sais quelle raison. Je ne connais PVD et un pays inclassable (un pays du golfe et n'ai pu me faire un panorama de la vie dans tous les pays). Le blog de Sophie est intéressant parce que c'est un blog de vie quotidienne de maman, pas un blog de type qui travaille et n'a pas la même perception des choses qu'une mère et une femme. Si j'avais été un jeune célibataire de 22 ans, j'aurai eu une autre vision du pays. Aussi fausse, aussi juste, je n'en sais rien, mais ne correspondant pas à la vie que j'ai une chance de mener. Or c'est ma vie qui m'a gêné, pas celle des autres (l'un de mes collègues était un gay de 50 ans : il s'éclatait là-bas, et vu le système social, cela ne m'étonne pas, ça doit être moins bien que Londres tout de même, mais évidemment, il faut prendre en compte le climat...).

Anonyme a dit…

Bonjour,
De liens en liens je découvre votre blog... et suis contente d'être arrivée jusqu'ici !

Anonyme a dit…

Merci de me faire découvrir le blog de Sophie. Et merci à toi d'avoir pris la peine de détailler... même si cela m'a fichu les chocottes, et mis l'espoir d'un ailleurs meilleur encore plus en berne... En même temps cela ne m'a pas du tout surprise, et le tout parait d'une logique implacable.
Finalement, on va peut-être rester là où on est... Te rends-tu compte de la responsabilité que tu vas devoir porter, mmm ?

Anonyme a dit…

Ah non, il faut bouger! Moi je suis peureuse et compliquée, mais bouger c'est toujours bien. En plus, toi, tu es musulmane alors ça t'ouvre plein de pays que tu ne verras jamais avec les mêmes yeux que moi parce que, qu'on le veuille ou non, on a toujours ses points de vue, son passé, son enfance, qu'on le rejette ou qu'on l'accepte on est conditionné par lui. Comme ton passé est différent, même si tu constates les phénomènes que j'ai constaté, ou d'autres, ta réaction sera différente, il y a des choses qui m'insupporte que tu supporteras, toi, très bien. Mon point de vue n'est jamais que mon point de vue, il est ma véroté, et j'y tiens, mais je ne le prends pas pour LA vérité.
Un exemple très concret : l'une de mes collègues du collège du pays d'avant est française, mais elle a vécu son enfance en Algérie. Elle a délibérément quitté la France il y a six ans pour venir dans ce pays que je ne supportais plus. Avant mon départ, elle m'a dit à peu près : "Ici, tu sais, c'est chez moi : je vois tout : la crasse, la paresse, la façon de travailler, la vulgarité, et je m'en moque, je m'em fiche : ce qui me fait rester, c'est le soleil, les arbres, les odeurs, les fruits, les gens, leur façon de parler..." Je l'ai bien compris : au fond d'elle, derrière la Française (c'était une petite dame raffinée et pas très riche), il y avait la petite fille, et elle ne pourra jamais quitter ce pays. "Mais qui donc a jamais guéri de son enfance?" a dit Sophie de la Rue-Mardrus. Moi qui ai détesté mon enfance dans un banlieue bourgeoise de Paris, je vous en moi s'accomplir l'incroyable : chaque année, les rues de cette petite ville morte et vide et sotte dans laquelle j'ai vécu se couvrent d'un vernis de nostalgie au point que je peux maintenant concevoir que j'y vivrai peut-être. Tout ça pour dire que tu dois bouger si tu le veux, c'est toujours intéressant. Le problème, après, c'est qu'on est un peu de partout et de nulle part...
Les couettes de la discorde que tu vas terminer, m'ont rappelés une amie arménienne d'Iran (elle avait des housses de couette bizarres, comme les Roumains et peut-être d'autres peuples, je ne sais pas) et le pays d'où je viens, mais d'une façon "intérieure" et affectueuse, pas comme moi je les perçois. En particulier quand tu as parlé des cafés, devant lesquels je détestais passer parce que tous les types me regardaient ironiquement. Comme je sais que pour eux, les occidentales sont de moeurs légères (de même que pour les occidentaux, toutes les musulmanes sont frustrées), quand je passais sous leurs regards ironiques, parce que cela se voyait que j'étais occidentale, avec mon gros sac bourré de correction, pour aller chercher un louage, cela m'énervait, et lorsque certains m'adressaient la parole en ce moquant, j'avais envie de les insulter - mais avec mes 52 kg je suis réduite au profil bas. Du coup, ton texte sur les cafés (avec ton oncle), c'était un tout autre regard, une tout autre ambiance, et ´c'était bien.
Voyager apporte tellement, si tu as envie de partir, il le faut!
J'attends la suite des couettes, mais aussi de ta copine salima ou je ne sais plus son nom, en fait ´j'écris en hâte et n'ai pas le temps de chercher - celle qui cherchait un maillot couvrant pour se baigner. J'ai vu des émiriennes se baigner en abaya toute noire et comme une courge je n'ai pas pris de photos.

Moukmouk a dit…

Ouf! à ma petite expérience, le Brésil n,est vraiment pas la solution, les différences de classes y sont abominables, avec des enfants esclaves qui travaillent dans des maisons de riches absolument dégoutant. Le Chili est nettement mieux même si...

Anonyme a dit…

Mais le Brésil n'est pas uniquement cela... Certes l'amplitude est absurde entre riches et pauvres (et c'est effectivement difficile à encaisser), mais peu à peu une classe moyenne se crée. C'est malgré tout un pays jeune (au même titre que le Chili) avec les caractéristiques extrêmes qui constituent toute jeunesse ! Mais l'occupation portugaise, les conditions de cette occupation, le peuplement même de ce pays ont été différents de l'occupation espagnole. Ni pire, ni moins pire, différente.
Et aujourd'hui, on trouve du bon, aussi Brésil, beaucoup de bon. Mais ce n'est que mon opinion. Si je pouvais moi, j'irai vivre là-bas... mais ça c'est une autre histoire.
Bonne journée