25 août 2007

Le pays dans lequel je ne suis pas morte - 10

En chambre :

On m’a interdit de me lever mais j’ai envie d’aller faire pipi toute seule, alors je me lève, accrochée à la perche du goutte à goutte (je n’ai plus qu’un tuyau qui se divise en trois, et le cathéter, mais je ne sais pas que je l’ai, je ne me suis pas regardée), et je marche jusqu’à la salle de bain. Je suis courbée, j’ai des vertiges, je plie les genoux et je reste attentive au moindre signe de malaise, auquel cas je me dis que j’essaierai de choir en souplesse. Mais ça va. Aller au toilette m’épuise pour au moins deux heures.

Au bout de trois jours je réclame ma sortie. Le médecin, à coup de cariño et d’airs désolés, refuse. Les infirmières sont emmerdées, mais plutôt de mon côté. Le quatrième jour en chambre, j’adopte un discours simple : « quiero mi bebe ». D’autre part, je pleure dès qu’on me parle. Là, je sens que ça fonctionne. Les allées et venues se multiplient ; ils décident de m’autoriser à voir le bebe (qui a quitté la nursery). Mon mari débarque avec mes deux enfants. L’aîné est effaré, et souriant, bravement. Il me demande quand je rentre. Il ne sait trop comment faire avec cette mère bizarre, blanche, faible, inhabituelle. Le bébé barbote dans la zénitude. Il ne pleure pas, s’agite un peu, regarde autour de lui. Il est toujours comme ça, me dit mon mari. Quand il a faim, on lui fait un câlin et il attend.

Quand il parte, je comprends que voir ses enfants, c’est vivre avec eux, pas recevoir une visite.

Quelques personnes viennent me voir (je ne connais pas grand monde), dont une madrilène exaspérée qui se met tout de suite en colère contre le système de santé espagnol et m’explique que je devrais haïr l’Espagne. Je lui dis que tout le monde a été sympa, ce qui l’énerve encore plus : ils te devaient bien ça !

Quelqu’un m’amène une énorme mousse au chocolat, puisque j’aime ça.

Je reçois des fleurs du service du personnel de la boîte de mon mari. Le directeur du personnel et le directeur m’appellent (ce sont des anglais ; en fait ils se sentent emmerdés parce que la couverture sociale de mon mari n’était pas terrible, pour un expat- pas expat ; mais en fait, avec la meilleure couverture sociale du monde je n’aurais pas forcément évité le problème : je ne me suis pas méfiée de mes problèmes respiratoires à cause de mon asthme, et je n’ai été voir que le médecin du centro de salud ; d’autre part, les seuls médecins corrects étaient en ville, à vingt bonnes minutes en voiture, et je n’avais pas la « force » d’y aller, je n’y serais pas allée, même avec une extraordinaire assurance privée ; non, ce qui aurait changé les choses, c’est des médecins privés compétents dans les environs proches, ou que le médecin du centro de salud soit plus futé – mais j’ai rencontré sa femme après, et j’ai su qu’il était en dépression, et que cela faisait peu de temps qu’il avait repris le travail ; après mon histoire, sa hiérarchie l’avait mis en dispo ou je ne sais quoi ; à partir du moment où j’ai mis les pieds à l’hôpital naval, j’ai été très bien soignée ).

Le médecin me fait mariner. Je sors jeudi. Puis le jeudi matin : vendredi, peut-être. Finalement je sors le samedi. Je suis restée en tout trois semaines à l’hôpital, 5 jours endormie, 8 réveillée à la UMI, et 8 en chambre.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Je commence à me sentir soulagée quand tu écris Finalement je sors de l'hôpital...

Anonyme a dit…

Merci ! Mais comme tu le vois, finalement, tout est bien qui finit bien. Le plus stressé, en fait, ça a été mon mari : lui, il a vécu cinq jours en se demandant si j'allais mourir. Moi, je me suis réveillée après la bataille, et je n'ai compris que progressivement que j'avais failli mourir pour de bon.

Anonyme a dit…

Ah, l'exaspération c'est un peu dans la nature des madrilènes, aïe. D'autre part, Sophie a raison de rire, comme elle avoue dans son commentaire à un épisode précédent : sans l'ironie ce récit serait autre chose, un fait divers anodin peut-être. Je lirai la suite demain, j'ai envie d'attendre un peu pour la fin de l'histoire, cette fois :-)