21 août 2007

Le pays dans lequel je ne suis pas morte - 9

Les jours suivants je réalise. D’abord, j’émerge lentement et je constate que je ne peux plus bouger : je suis molle, bouger mon corps est un effort. Je ne peux pas m’asseoir.

Les infirmières viennent me laver tous les matins, heureusement. Je me laisse faire, en notant que c’est curieux (d’être obligée de se laisser faire à ce point par d’autres). Elles me disent qu’elles sont contentes. Pourquoi, leur dis-je. Une fille jeune comme moi ! disent-elles. Eh bien quoi, une fille jeune comme moi- quoi ?

- Elles sont contentes pour moi, dis-je à mon mari. Elles sont vraiment sympas, quand même.

Mon mari me regarde bizarrement.

-Mais tout le monde est content pour toi. Pas seulement elles. Moi aussi, je suis content pour toi !! A la boîte aussi ils sont contents.

-Mais pourquoi ?

- Parce que tu n’es pas morte !!!

- Ah ! fais-je. Je n’avais pas perçu les choses comme ça, mais évidemment ça se comprend mieux.

A la visite suivante, je dis à mon mari :

- Mais tu crois que j’ai vraiment failli mourir ?

Il me sort une phrase que j’ai longtemps eu dans la tête :

- Tu as déjà vu quelqu’un vivre sans poumons ?

- Oui. Enfin, non.

Une idée me vient.

- Mais tu as du être stressé ?

Il me regarde. Mon mari est dans le genre : tout à l’intérieur.

- Titou aurait pu être orphelin !

Il devient blanc.

- Oui, bon, eh bien on n’en parle plus.

Les infirmières ont une super –méthode : elles me roulent d’un côté, enlèvent le drap sale, placent à demi le drap propre et frais ; puis elles me roulent de l’autre côté, font de même et me rallongent. Deux me tiennent pendant que l’on change l’oreiller.

Un jour, une infirmière vient me voir : il faut que je mange. Manger ? J’ai oublié ce que c’est. Elle me demande ce que je veux. Je ne veux rien. Je n’ai pas faim.

- Si tu veux voir ton bébé, tu dois manger.

Je réalise que j’ai un bébé, que je n’ai pas vu. J’accepte un yaourt, si on me montre le bébé. Impossible : pas de bébé à la UMI. Je me transforme en fontaine. En fait, dans ma tête, j’étais toujours « enceinte », je n’avais pas accouché psychologiquement, mais ce jour-là j’ai réalisé que j’avais un bébé.

Branle-bas de combat ; mon mari pourra emmener le bébé, mais je ne le verrai qu’à travers la porte ; il reste un foyer de pneumonie dans un poumon.

Je vois le bébé ; c’est un bébé ; il est tranquille, il remue vaguement les pieds. Mon mari me dit que c’est le plus beau, le plus mignon, et que tous les parents qui viennent à la nursery croient que c’est le leur ; je mange trois cuillers de yaourt.

L’infirmière recommence le lendemain. Je progresse en espagnol.

- Que te apetece, cariño ?

Je ne comprends pas, puis je comprends apetece, appetit, plus le contexte.

Mais nada, rien, je n’ai pas faim, penser à la nourriture me remplit.

Elle me fait manger un yaourt et une tisane par jour.

Je comprends progressivement que j’ai vraiment failli mourir. Un jour, une vieille dame arrive à la UMI, je l’entends gémir. Moi qui suis une ancienne, cela fait cinq jours que j’y suis, je demande ce qu’elle a : c’est une anglaise qui a fait une crise cardiaque. Je suis inquiète pour elle : venir dans un pays étranger, et faire une crise cardiaque, risquer la mort ! Je dis à l’infirmier qui est à mes côtés combien je trouve cela horrible. Il me regarde :

- Y tu, cariño ?

Moi, quoi ? Il se coue la tête. Il m’explique que quand ils m’ont vu arriver et qu’ils m’ont réveillé (abre los ojos, c’était eux), ils étaient inquiets et stressés pour moi : une étrangère, une jeune mère…

Mais moi, ce n’était pas pareil – mais l’infirmière me coupe la parole vigoureusement : ce que tu as eu, me dit-il, c’est plus grave qu’une crise cardiaque.

Ce qui me cloue : je ne vois pas ce qui peut être plus grave qu’une crise cardiaque, mais je ne suis pas du métier. Néanmoins, je prends note de la chose. Donc j’ai vraiment failli mourir.

Un autre jour, les infirmières arrivent à cinq : elles ont une mission : m’asseoir. Je ne veux pas. Je veux qu’on me foute la paix. Mais elles ne m’écoutent pas. Elles me disent qu’il faut faire le lit. Je leur dis qu’avant elles s’en sortaient très bien sans m’asseoir. Rien du tout. Elles me prennent, à trois, plus un pour le fauteuil et une pour porter mes jambes qui tombent, molles. Elles y tiennent. Elles m’installent. Ça prend dix minutes. Elles font le lit. Puis elles me laissent assise, avec un journal, que je n’ai même pas la force de tenir dans mes mains. Je gis sur le fauteuil, en pensant qu’on est peu de chose. A la première qui surgit, je demande qu’on me recouche, ce qui est fait.

Curieusement, on ne me repropose pas de m’asseoir dans les jours suivants.

Les derniers jours, ça va mieux. J’avale un yaourt et une tisane par jour, et je demande quand est-ce que je sors et quand je pourrais rentrer.

Après deux jours où on me fait de nombreuses radios, il apparaît que le foyer de pneumonie s’est résorbé.

Pour sortir de la UMI, on me place sur un lit roulant, et en sortant, je vois le mur derrière moi, pour la première fois : ce ne sont que des tableaux, des instruments, des appareils. Cela me fait un choc. Là aussi, je réalise que pour qu’on me mette dans un endroit pareil, je devais vraiment être malade.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

J'aime l'image de cette lutte inégale, toi contre les cinq infirmières ; je la vois d'en haut, je ne sais pas pourquoi (cette partie-là, je la filmerais comme ça, en plongée, la caméra descendrait lentement, on verrait dans ton visage —plan rapproché, à la hauteur de tes yeux, déjà— que tu n'a pas de forces, mais que tu as la volonté de lutter inutilement contre le petit groupe de cinq). J'aime le reste, aussi. J'aime que tu ne sois pas morte, que tu racontes comment tu ne l'es pas.

Anonyme a dit…

Je sais que ce n'est pas drôle mais qu'est-ce que j'ai ri sur l'ensemble de cette histoire..

Anonyme a dit…

J'aime ta façon de nous raconter ce séjour à l'hôpital. Comme ça, comme tu l'as vécu en fait, sans saisir la gravité de ton état. Une inconscience qui a dû t'aider au début.