01 mai 2007

Adieu 3

J'ai repensé à ma voisine. Je lui en veux tellement fort... Voilà : par erreur, et parce que je l'avais mal jugée, je me suis montrée à elle plus qu'à la plupart des gens ici. J'ai ironisé sur mes amis, mes relations, les caricatures de soirées mondaines que nous avons ici. Je lui ai parlé de ceux avec qui l'Ours aurait pu monter des affaires, elle sait chez qui je suis invitée et ce que je pense d'eux. Comprend-elle ce que je ressens? Ce sentiment de devoir jouer un jeu que je ne comprend pas très bien et que je n'aime pas, mais je me suis retrouvé là, et il faut bien avancer et quitte à jouer, autant avoir les bonnes cartes - et je vous rassure, les miennes sont moyennes. peut-être ne comprend-elle pas, et me croit-elle menteuse, ou fausse, ou prétentieuse. Je sais bien que je fais vite pimbêche.

Je vais raconter une histoire. Du temps où l'Ours était directeur, chaque année il y avait une fête de nouvel an. Ordinairement, j'étais une femme d'ex-co parmi d'autres, et il y avait une soirée spécial ex-co (chiante - mais comme dit l'Ours, je n'aime rien). On mangeait bien, c'était au moins ça.
Mais quand il est devenu directeur, la première année, à minuit, enfin un peu avant, il est venu vers moi et m'a dit : "On y va".
- On y va - quoi, on y va? lui ai-je dit.
- Eh bien, dire bonne année.
- A qui?
- Mais à tout le monde.
- Ah mais non! Pas moi! C'est toi le directeur!
- Oui, mais toi tu es la femme du directeur.
- Et alors?
- Alors, tu assumes. Tu viens dire bonne année avec moi.
- Non. Je n'ai jamais voulu être "femme de directeur". C'est quoi cette histoire?
L'Ours est devenu glacial et m'a dit :
- Bien.
J'ai compris qu'il ne blaguait pas et j'ai réfléchi, très vite. Quand nous étions dans un pays du Golfe, la femme du directeur invitait à Noël toutes les femmes d'ex-co. J'avais trouvé cela (chiant - bon, on le sait) très élégant de sa part, et je n'avais jamais vraiment réalisé qu'elle faisait cela sur commande. En Espagne, Titou le Grand avait été invité à l'anniversaire de la fille du directeur, qu'il fréquentait peu - il sait depuis cette année ce qu'est une fille, et encore, en théorie seulement. L'Ours m'avait ordonné d'y aller - c'était une faveur spéciale, et j'avais trouvé cela idiot, autant pour moi que pour elle, la femme du directeur, le genre liane qui se lève à midi, fait du sport l'après-midi et sort en boîte la nuit, sympa par ailleurs, mais aussi peu à l'aise dans son rôle que moi dans le mien, mais nos maris respectifs nous obligeaient à ces mondanités idiotes (plus élégantes que celles d'ici).
Je me suis levée et j'ai suivi l'Ours et j'ai dit bonne année à tous les employés. Tout le monde n'est pas comme moi; si vous êtes maghrébin, que vous travaillez dans un boîte dont le directeur est français et que la femme du directeur est froide comme un glaçon avec vous, que pensez-vous, hein? Vous dites que les mondanités l'emmerdent? Vous vous dites qu'elles préfèrerait être chez elle plutôt que dans une salle de restaurant mal décoré à manger un mauvais repas en buvant du mauvais vin, alors que le menu vaut le cinquième du SMIC local? Non : vous vous dites que c'est une raciste, ou une bêcheuse, ou une mal polie; qu'elle pourrait faire un effort, et qu'elle ne le fait pas. Et vous la trouvez sympa? Non, vous la trouvez nulle. Avec tout le fric qu'elle a, elle pourrait dire bonne année.
L'année suivante, j'ai mis robe du soir, bijoux, fleur dans les cheveux, genre star hollywwodienne, et j'ai embrassé tous les employés. Ils étaient très contents.
Tout ça pour dire que les airs dégoutés passent mal en société. Je n'aurais peut-être pas du tant en dire à ma voisine. Certaines choses doivent être assumées. Dire qu'on déteste les sorties, les invitations, les untels et les untels et sortir quand même, et bénéficier des mille et un petits avantages de ses relations, ce n'est pas cohérent. Soit on vit dans une grotte, soit on se tient à sa palce, sans airs fatigués.
Quand on se retrouve dans un situation, les conséquences de ces situations doivent être correctement gérées, sinon tout s'écroule. C'est immédiatement perceptible dans l'enseignement. Impossible de dire aux élèves que vous faites ça pour gagner votre vie. Il faut "jouer le rôle" du prof qui y croit. Quand on est l'épouse d'un homme qui a un petit rang dans un groupe social, on doit suivre la logique du truc. Si on a des états d'âmes et qu'on dit à tout le monde, oui, bon, j'habite dans un parc de dix hectares avec piscine au bord de la mer mais en moi-même je n'aspire qu'à la simplicité, je suis encore dans ma chambre d'étudiant du 15ème, on a l'air con. Voire pathétique.
En fait, on est obligés de jouer le rôle qu'on a. Ce sont les autres qui vous créent.
Cela étant, je me dois de préciser qu'en tant qu'ex-étudiante fauchée qui n'a pas de relations et à qui tout passe sous le nez, me retrouver dans le groupe de ceux qui sont invités (on the cutting edge, comme dit l'Ours en se marrant) là où il faut être n'est pas désagréable. C'est doucereusement flatteur pour l'ego. Les uns et les autres. Avant, j'étais dans les autres, maintenant je suis dans les uns. Le tout, c'est de ne pas péter un cable.

Exemple de mondanité : les vernissages d'artistes locaux. Sachant que l'oeil éduque l'oeil, il faudrait garder les yeux fermés. J'ai photographié un des derniers chefs -d'oeuvre. Là, c'était le staïle : en direct de l'Atelier de l'Artiste.
Accrochez-vous, c'est violent.


Je ne blague pas, ce sont des étudiants des Beaux-Arts locaux qui ont produits ce pur chef-d'oeuvre. Ils auraient mieux fait d'exposer des travaux d'élèves de maternelle, c'est plus joli.
Entendu devant cette croûte : " Tu as vu, non mais tu as vu l'intensité de l'émotion qui se dégage? "


C'est pour cela que j'ironise sur notre petit microcosme. Mais ma voisine n'a peut-être pas compris que j'étais bêtement sincère. Comme elle est plus isolée que moi, elle pouvait envier ma situation (quand j'étais étudiante, j'enviais ceux qui allaient à des trucs où l'on rencontrent des gens) et me trouver très fausse. J'aurais mieux fait de jouer la "femme bien", qui assume tout, sans geindre. Quand l'Ours a changé de poste, j'aurais pu prendre l'air de celle qui résiste aux revers de la vie (je n'ai pas eu cet air-là : j'ai dit : enfin on va être peinard).
Si j'en parle autant, c'est que je m'étonne de ma rancoeur. Je ne vois que ce moyen de l'expliquer : je lui ai révélé beaucoup de choses sur moi, et elle m'a planté. C'est toujours blessant. Cela n'arrivera plus. Je suis beaucoup plus en équilibre avec moi-même. J'accomplis mes obligations (elles sont moins nombreuses depuis que l'Ours n'est plus directeur) avec plus de philosophie et d'humour.
Qu'est-ce qu'on est peu de choses, et esclave de ses émotions.

Ceux qui veulent se nettoyer les yeux peuvent aller sur le blog de KA.

Anecdote. L'Ours est en phase d'achat et d'essayage de costume, cravate, tout ça tout ça. Or, Titou le Petit, 8 ans, ne l'a pas vu habillé comme ça depuis deux ans. L'autre jour, il voit son père en costume et s'arrête, interdit, devant lui.
- Papa, pourquoi tu t'habilles comme ça?
Titou le Grand, à qui on ne la fait pas, lui lance:
- Ben, qu'est-ce que tu crois? Il va retravailler dans une société.
Petit: - C'est quoi une société?
Grand : - c'est comme la boutique, mais en plus grand.

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