30 avril 2007

Adieu

Ma voisine a déménagé hier et aujourd'hui son appart est vide. Chaque fois que je passe devant chez elle je me sens triste.
J'ai une longue histoire avec ma voisine, pleines de sentiments confus.
Je l'ai rencontré il y a quatre ans. Sympa, gaie, dynamique, pas conventionnelle. Depuis quatre ans dans le pays mais pas de relations et encore moins d'amis.
Année 1 : nous nous sommes vues peu, mais régulièrement, toujours avec plaisir, dans un groupe de maman copines (comme on peut l'être ici) qui ne travaillaient pas. Elle les voyait plus, parce qu'elle ne travaillait pas.
A la fin de l'année, nous avons organisé une brocante ensemble. En fait, elle a voulu organiser une brocante avec moi, j'ai dit oui, mais elle a fait le plus gros du boulot parce que ça me cassait les pieds. Première erreur : j'aurais du dire non, puisque je ne voulais pas vraiment assumer.
Elle me trouvait dynamique, elle regardait mes relations avec envie, elle parlait ironiquement de mes copines, elle me félicitait sur l'excellence de mes relations, et en effet dans notre petit univers je suis en relation avec le gratin local (lequel gratin ne serait pas grand chose voire rien du tout ailleurs).
Année 2 : elle a voulu créer une entreprise ... avec moi (femme d'affaire dans l'âme), là j'ai dit non, OK pour aider mais pas plus. C'est tombé à l'eau parce qu'elle a trouvé un boulot. Ouf. Elle començait à me pomper un peu. Deuxième erreur : quand quelqu'un commence à vous pomper "un peu", ne pensez pas : elle est quand même sympa. Tout le monde est quand même sympa.
Elle a trouvé que la maitresse de CP donnait trop de devoirs et elle m'a fait venir chez elle pour que je lui dise ce que j'en pensais. Troisième erreur : écouter une mère qui croit son enfant persécuté (et en plus je suis prof!!! J'avais senti le coup foireux et lui avais dit : moi, je crache pas sur les collègues).
Quand j'ai vu les devoirs je lui ai dit : J'ai du mal à croire qu'il mette une heure et demie pour les faire. Précisons qu'elle lui faisait recopier tout le vocabulaire à savoir lire.
Nous avons déménagé et c'est son mari qui a trouvé l'appart. Elle voulait que je vienne habiter là (elle avait raison : on est super-bien). Elle voulait que j'habite à côté de chez elle. Quatrième erreur : une maie de si fraîche date n'a pas à vous attirer ainsi.
Un mois après elle s'est fait virer par son mari et elle a emménagé en dessous. Ensuite, son mari a regretté et il est tout le temps cheaz elle. Quand elle m'a dit qu'elle venait habiter en dessous je me suis dit : on dirait qu'elle l'a fait exprès. Je l'ai pensé, et j'en ai eu honte - maintenant je le pense, sans honte.
On s'est mises à vivre portes ouvertes et les enfants allaient dans les deux maisons. C'était très sympa. L"idée que des problèmes pouvaient apparaître m'a effleuré, je l'ai écarté.
Je lui ai proposé d'amener et de ramener ses enfants de l'école, pour qu'elle n'ait pas besoin de l'aide de son mari (les miens allaient à la même école). Une mère m'a dit : mais elle ne peut pas se débrouiller seule, ta copine? Et j'ai dit : Mais tu ne te rends pas compte!! Elle vient de se faire larguer!!! Et je pensais : mais qu'est-ce que les gens sont méchants!!!
Pendant l'été, j'ai eu ses enfants une semaine à la maison parce qu'elle n'avait personne pour les garder. Le reste de l'été, ils me demandaient où j'allais et d'où je venais à chaque fois qu'ils me croisaient. A la fin de l'été, mon fils me disait : "Bon, quand ils te demandent où on va, tu ne leur réponds pas : ça les regarde pas."
Année 3 : elle a décidé de me faire fêter mon anniversaire, ce dont j'ai horreur, et m'a harcelé avec ça pendant deux semaines. Elle est devenue copine avec un type que je trouve idiot, et sa femme, elle voulait tout le temps que je vienne chez elle pour prendre l'apéritif avec eux. Nous, on refusait. Le mois suivant, elle ne le supportait plus ; mais comme on est parti dans le sud pour un Aid, sans elle et ses enfants, elle est partie pour l'Aid avec eux. Après, elle m'a raconté comme ç'avait été affreux, elle aurait préféré venir avec nous mais on l'avait pas invité.
En novembre elle a décidé de sortir faire la fête et elle a aussi décidé que je devais venir avec elle parce que c'était cool. Elle a organisé des soirées filles et je l'ai aidé. J'ai appelé toutes les "filles" que je connaissais et j'en connais plein.
Je m'occupais toujours de ses enfants, un jour sur deux, et je trouvais ça pénible. Son fils avait un problème énorme de mensonge, il mentait sur tout, même sans raison, et sa fille faisait de l'hypoglycémie. J'ai insisté pour qu'elle prenne quelqu'un. Elle a pris Sana, une de mes copines, qui devait donner des cours d'arabe à mes enfants, en février 2006.
En février, elle m'a demandé de ne pas demander à Sana de venir faire des cours d'arabe après qu'elle soit venue garder ses enfants : Sana venait pour elle. Je n'ai pas voulu faire d'histoire, et Sana est venue le dimanche (en fait ça nous arrangeait, mais j'ai peu apprécié le procédé. "En semaine, Sana vient pour moi, si elle vient chez toi après elle va bacler son travail chez moi alors que je la paie cher).
En mars, elle m'a demandé d'expliquer à mes enfants qu'ils devaient respecter les jouets des siens (jusque fin janvier, ses enfants étaient chez moi presque toute la semaine). Je commençais à en avoir marre, et j'ai interdit à mes enfants d'aller chez elle en son absence.
En avril, elle s'est engueulé avec l'Ours, en nous accusant de vouloir lui "gâcher une soirée" - je me demande ce qu'on lui avait gâché, vu le nombre de fois où on lui a gardé ses enfants et où on l'a dépanné.
A ce stade j'en ai eu marre. Alors que j'allais la voir très souvent, trop probablement, pour lui raconter mille et une petite futilités et rigoler, je n'y suis plus allé. Bon, j'y allais moins depuis février.
Sana est partie en France (bourse d'étude de six mois) et elle a vécu cela comme une trahison.
Durant l'été, ses enfants sont restés à la garderie. Elle s'est achetés une clim et nous a demandé comment nous pouvions vivre sans (comme des pauvres, quoi).
Année 4 : Nous nous sommes beaucoup moins, puis plus du tout vu. Elle en était peut-être heureuse, puisqu'elle semblait avoir acquis la conviction que je lui en voulais. Néanmoins, elle qui ne voyait personne régulièrement sauf moi (et le type que je n'aime pas et sa femme, mais moins), n'a plus vu personne. Je sais qu'avant elle me disait "avec toi, c'est bien, ça bouge, on voit du monde", eh bien elle n'a plus vu personne. Elle avait invité des gens (avec nous) trois fois l'année précédente, et mon mari avait fait la cuisine ou le barbecue à chaque fois (il était furieux - il se retrouvait obligé de le faire parce qu'elle le lui demandait et qu'il est efficace). Elle n'a plus invité personne.
Après la clim, elle a acheté de beaux meubles dans LA boutique d'ameublement du coin. Son directeur lui a fait venir une Mercédes et elle roule avec. Aujourd'hui elle vient de déménager pour un quartier plus chic.

Je n'ai pas tout dit, mais reste que cela me fait de la peine. Malgré les signes avant-coureur, je me suis fourvoyée dans une histoire idiote. Sa gaieté m'a aveuglé. Je m'amusais avec elle. J'aimais bien quand les enfants jouaient ensemble, au début, c'était cool. Mais les miens ont beaucoup de beaux jouets, des L*g* et des Pl**m***l. Elle achète des tas de bricoles qui lui reviennent assez cher, qu'ils cassent, avec lesquelles ils ne jouent pas, et après ils sont devant les jouets des autres avec envie. Elle m'a très souvent dit (et je croyais que c'était une boutade) "tu peux dire à mes enfants d'arrêter d'être en extase devant les tiens?" Or, si des enfants sont excessivement fascinés par d'autres, ce n'est pas normal. Et puis, au début, mes enfants étaient, attention, "fils de directeur", et nous habitions dans un cadre que j'étais seule à détester, mais considéré par beaucoup comme luxueux. Les siens étaient très impressionnés. Quand nous sommes devenus voisins, cela faisait moins "fils de directeur", et son fils le disait : "Ton père il est même plus directeur! Et ma mère est directrice!!!"

J'entendais à l'école des remarques sur elle, des mamans m'ont dit qu'elle "abusait de ma gentillesse" (depuis cette année j'essaie de faire la gueule et d'être désagréable, mais normalement je suis le genre de personnes que l'on trouve "gentille", alors que je trouve en générale tout le monde con, mais je n'ose pas le dire pour pas faire de peine...), mais je n'écoutais pas ces remarques . Le problème de mensonge de sonfils est devenu énorme, elle est dévorée par le stress de sa scolarité, elle a peur qu'il redouble, lui semble angoissé, il se vante de ce qu'il a ou de ce qu'il va faire à chaque fois qu'on se croise, c'est exaspérant et pitoyable.
Plus je me relis et plus je la trouve infréquentable, et pourtant je l'aimais bien, cette fille!! Quel démon me pousse vers les gens à problème? Comment ne l'ai-je pas vu venir? D'où vient que je regrette les premiers mois, durant lesquels les enfants s'amusaient ensemble, alors même que les problèmes de personnalités de ses enfants me sont devenus de plus en plus apparents au fil du temps? Parce que c'est simple ; soit c'est une copine et je la regrette, soit elle ne vaut pas le coup et je ne la regrette pas. Mais c'est l'horreur : elle ne vaut pas le coup. Son changement de comportement au fur et à mesure de sa "progression sociale" : clim, meubles, voitures, maison, c'est pitoyable. Mais je regrette parce que je m'amusais bien avec elle quand tout allait bien.
L'autre problème, c'est que je me suis attachée à elle et à ses enfants, même avec les défauts, les mensonges de son fils (qui m'embrouillaient), les crises de sa fille, et les digressions sur ses problèmes : son mari, ses employés et les instits. Quand, par trois fois, elle m'a cherché des problèmes, en se réservant Sana (qui ne savait plus où se mettre), en reprochant à mes enfants leur comportement (ce ne sont ni des saints, ni des monstres, juste des enfants normalement chiants qui ont besoins d'être engueulés), en reprochant à monmari (et à moi) de chercher à lui gâcher ses soirées, j'ai senti, par progression régulière, le conflit monter. Il fallait que ça n'aille plus. Ensuite, je me suis senti culpabiliser, parce que bon, dans l'histoire je suis triste, mais j'ai toujours ce que j'avais avant (mes formidables relations sociales et des sorties). Alors qu'elle, si désireuse de rencontrer des gens et de se distraire, elle se privait toute seule de ce qu'elle était ravie de trouver avec moi (des filles pour ses soirées filles, des mamans pour inviter ses enfants etc). En gros, avant de me rencontrer, elle ne fréquentait personne (ça m'avait même surprise) et après, toujours personne. Ses enfants n'ont eu comme amis que les miens et les amis des miens. Quand nous avons peu à peu cessé de nous voir, ils ont aussi cessé de voir les autres enfants en dehors de l'école.
Depuis aujourd'hui, l'appart est vide, en dessous. Mais les fantômes errent. Je revois les enfants. Ils ont eu de bons moments. Ce passé-là, figé, disparu, et qui ne reviendra jamais, me fait de la peine. Penser à ses enfants me fait de la peine aussi. Certes, l'Ours et moi ne les supportions plus, à la fin. Mais leur maladresse était touchante. "Nous, on a une clim maintenant. - Ah. - Pourquoi vous en avez pas une, vous? Ton père il gagne pas assez d'argent? - On n'a pas chaud. - Pourtant, quand il était directeur, vous en aviez une. - Oui, eh bien heureusement, parce que la maison était une étuve. - Et on a des nouveaux meubles aussi. - J'ai vu. - Ils ont couté cher, je crois. - Ah. - Les vôtres, ils ont coûté chers? - Pas autant que les vôtres. -Comment tu sais? -Ma mère elle a trouvé qu'ils étaient trop chers et elle en a fait faire. - Alors vous avez pas d'argent? - Si, mais nous on part en vacances en France (flèche du Parthe, méthode enfantine : appuyer là où ça fait mal). Silence , puis : Moi, j'aimerai bien aller en vacances en France. - T'as qu'à dire à ta mère qu'elle achète pas de clim et qu'elle te paie un billet d'avion. Moi, intervenant :Chacun fait ses choix de dépenses. Ce n'est pas toujours un problème d'argent. Mon fils, ironique: De toute façon, ils peuvent pas aller en France. Sa mère elle dit qu'ils ont personne chez qui aller. - Moi, je suis content d'avoir la clim. Je retourne à la maison. Il fait pas chaud comme chez vous."

Voilà quelque chose contre quoi je dois lutter. Ma rendance à sympathiser avec des dingues (ici, trois fois, beau record!!). Je dois rester distante. Il faut dire que j'ai progressé. Avant, j'étais toujours dispo. J'aimais bien parler avec les gens. C'est fini. Je déteste. Je n'aime plus que les relations superficielles. Je connais encore des gens, dont je suis presque sûre qu'ils ont un problème (le fait d'être amis avec moi, déjà, ce n'est pas normal). Ils sont assez fiers d'eux (cultivés et intelligents -c'est-à-dire qu'ils se comparent à la moyenne locale, donc ça fait vite contraste, avec les tontons flingueurs et deux poèmes de Victor Hugo on est cultivés, ici). Je ne fais qu'en être presque sûre, puisque nous les voyons peu, donc on évite les fréquentations régulières, sources d'ennuis.
Conclusion : comme je crois l'avoir déjà dit, il est temps qu'on parte!

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